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« Le soleil venait de se coucher, le ciel était étincelant d’étoiles. Les jeunes gens entourent, leur père et attendent respectueusement ses ordres ; le silence le plus profond règne sur le rivage. — Allons ! Vaniouchka, s’écria-t-il, cours à l’isba chercher du feu.

« L’enfant part, et Gleb se met en devoir de fixer la kpsa (sorte de réchaud rempli de poix) à la proue du bateau. Puis il recouvre ce réchaud de paille et examine attentivement la pointe de la fourche qui est destinée à piquer le poisson. L’enfant ne tarda point à reparaître, une lanterne allumée à la main, Peu d’instans après ; la poix du réchaud pétillait, une lueur rougeâtre éclaira la figure du pêcheur et se projeta sur le rivage.

« — Allons, père ! s’écria l’être, que faut-il que nous fassions ?

« — Écoutez-moi, reprit vivement le vieillard : Toi, Petre, tu vas te placer avec la fourche, près de moi, à la proue. C’est cela. Attention ; ne l’endors pas !… Vous autres, Gricha et Vaniouchka, mettez-vous aux avirons. Allons vite ; mais ne ramez pas sans mon ordre : le poisson dort, ne le réveillons pas avant l’heure. Le gouvernail est-il en état ?

« Grichka lui répondit par un signe de tête.

« — Allons, tout est prêt ; Vania, c’est toi qui gouverneras. Êtes-vous tous à vos places ?

« — Tous ! lui répondirent d’une voix les jeunes gens.

« — C’est bien ; mais silence, reprit-il, ne parlez que des yeux. Poussez au large.

« Vassili, qui tenait la chaîne, la détacha vivement et sauta dans le bateau, qui quitta aussitôt le rivage.

« — Allons, dit Gleb, le voilà parti ; à la grâce de Dieu !

« Pendant que le bateau suivait lentement le cours de l’eau, la tante Anna et les jeunes femmes ne quittaient pas des yeux la flamme du réchaud. Quelquefois cette flamme disparaissait, ainsi que le bateau et les pêcheurs qu’elle éclairait ; mais on la voyait bientôt briller plus loin. Parfois elle redoublait d’intensité ; c’est que les pêcheurs venaient de jeter un morceau de poix dans le réchaud. Alors Gleb et Petre, qui se tenaient penchés sur l’eau, armés d’une fourche, se dessinaient si vivement au milieu de l’obscurité, qu’ils semblaient suspendus au-dessus de la rivière. »


Enfin le moment vient pour Petre et Vassili de déclarer leurs projets, et voulant se donner du courage, ils recourent à des boissons spiritueuses. C’est à moitié ivres qu’ils signifient leurs intentions au vieillard. — Partez, s’écrie le vieux pêcheur indigné, mais à mon lit de mort vous n’aurez point ma bénédiction. — L’arrêt paternel est suivi aussitôt d’exécution : les fils de Gleb partent, avec leurs femmes, et le pêcheur reste seul avec Vania.

Le lendemain, Gleb court chez Kondrati. Il veut se créer une nouvelle famille en mariant Vania à la fille de son voisin, à Dounia. Le consentement des parens est donné ; mais Dounia se retire à l’écart, elle verse des larmes, et Vania sait ce que signifie son trouble, car il a surpris le secret de Dounia et de Gricha. Cependant le pêcheur retourne à son habitation, et il trouve sa femme toute en larmes. La