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des bottes malpropres. — Ah ! monsieur, monsieur, cria-t-il en poussant Israël du côté de sa boite, et en prenant de force le pied droit de notre héros ; mais celui-ci, illuminé par un soupçon subit, donna à la pauvre boite un grand coup de pied, et s’enfuit à toutes jambes sans s’inquiéter des cris que poussait derrière lui le décrotteur.

Arrivé à la maison qu’on lui avait désignée, Israël frappa et fut fort étonné de voir la porte s’ouvrir devant lui comme par enchantement. Il entra sous un petit passage qui conduisait à une cour intérieure, et il y erra un moment, fort surpris de ne voir apparaître personne, lorsqu’un bruit de voix le conduisit près d’une petite fenêtre, devant laquelle étaient assis un vieillard occupé à raccommoder des souliers et une vieille femme. Celle-ci, au nom du docteur Franklin, prononcé par Israël, se leva, sortit, et accompagna le visiteur jusqu’au troisième étage. — Entrez, dit alors une voix, et immédiatement Israël se trouva en présence du docteur Franklin. Le vénérable vieillard, revêtu d’une riche robe de chambre, curieusement brodée de figures algébriques comme une robe de magicien, présent d’une riche marquise, était assis devant une large table couverte de papiers imprimés ou manuscrits, de livres et de journaux. Les murs de l’appartement avaient pour le pauvre Israël une apparence féerique ; ils étaient couverts de baromètres de tous genres, de cartes des pays du Nouveau-Monde, presque blanches et marquées ça et là des six lettres du mot désert, et de cartes des pays européens, toutes au contraire peuplées de noms, de signes, et bariolées de couleurs.

— Comment allez-vous, docteur Franklin ? dit Israël au vieillard, qui ne s’était pas retourné a son entrée.

— Oh ! je sens l’odeur des champs américains, répondit le docteur en se retournant rapidement. Un compatriote ! Asseyez-vous, mon cher monsieur. Eh bien ? quelles nouvelles ? un message particulier ?

— Attendez une minute, docteur, dit Israël en traversant la chambre pour aller chercher une chaise. Comme il n’y avait pas de tapis sur le parquet, composé de pièces de bois rangées en forme de losanges et soigneusement frottées et cirées selon la mode française, Israël glissa sur le parquet comme sur de la glace et faillit tomber.

— Oh ! oh ! il me semble que vos bottes ont des talons bien hauts, dit le grave utilitaire. Ne savez-vous donc pas que cette mode a deux inconvéniens, d’abord celui d’employer inutilement du cuir, ensuite celui de vous exposer à vous casser une jambe ? Mais je vous prie, que faites-vous donc ? est-ce que vos bottes vous gênent ? Quelle folie que de porter des bottes trop étroites ! Si ici avait été le dessein de la nature, elle eût composé le pied d’os seulement ou même de fer, au lieu de le composer d’os, de chair et de muscles. Ah ! mais je vois, donnez.