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alors qu’elles pouvaient exercer une influence immédiate si puissante sur l’état de l’Allemagne. Adam Müller, Frédéric de Schlegel, Achim d’Arnim et Frédéric de Hardenberg (Novalis) accomplirent donc à cette période de restauration une œuvre en tout semblable à celle que M. de Chateaubriand entreprit chez nous vers la même époque, et je retrouve dans le Génie du Christianisme beaucoup de ce dilettantisme religieux qu’on reprochait aux romantiques allemands. Pauvres romantiques ! quelles guerres terribles n’eurent-ils pas à soutenir et contre l’esprit de l’antiquité classique, représenté par Goethe, et contre l’esprit du présent, dont ils combattaient à outrance les tendances révolutionnaires ! Goethe, qui, dans l’occasion, touchait assez volontiers à leur élément, mais qui détestait au fond tout ce monde de visionnaires et de somnambules, Goethe appelle le romantisme une période de talens forcés. » Un corps naturellement bien constitué, mais que travaille une maladie incurable, » voilà comme en quatre mots il décrit Henri de Kleist. Au sujet d’Arnim, la sentence affecte le même laconisme ; c’est la critique littéraire réduite à la simple rubrique d’une note de pédagogue : « naturel, féminin ; substance, chimérique, contenu, sans consistance ; composition, molle ; forme, flottante ; effet, illusoire[1]. » Son Essai sur le dilettantisme peut également passer pour un manifeste à l’adresse des romantiques. « Ce qui manque surtout au dilettante, c’est la faculté architecturale dans l’acception élevée du mot, cette force pratique qui crée, ordonne et constitue ; il n’en a qu’une sorte de pressentiment, et s’abandonne corps et âme à son sujet, qui l’entraîne, le domine, alors qu’il en devrait au contraire être le maître. » Mais Goethe, dans ces oracles qu’il rend contre le romantisme, juge les choses au seul point de vue de l’homme, du poète, et se contente de battre en brèche, avec quelque animosité pourtant, ces prétendues extravagances auxquelles répugne son calme et froid tempérament. Quant aux principes par lesquels ce mouvement se rattachait à la politique, l’illustre penseur, à quelques réserves près, les goûtait trop lui-même pour leur faire une guerre bien acharnée. Ce noble soin devait échoir à d’autres qui, naturellement plus doués de ce fameux sens de l’avenir que le poète de Weimar, ne pouvaient manquer de tomber à bras raccourcis sur cette légion de cerveaux creux et d’âmes enivrées du mysticisme de l’art. « Les romantiques détestaient la révolution, écrit M. Robert Prutz, parce qu’elle les troublait dans leur quiétude ; les princes la détestaient, parce qu’elle les troublait dans leurs possessions. Les romantiques voulaient le moyen âge, parce qu’il est poétique ; les princes le voulaient, parce que le moyen âge

  1. Voyez Goethe, Würdigung’s Tabelle der poetischen Production der letzten Zeiln b. 32, s. 449.