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qu’on ne le prenait pas là en délit de néologisme ; il employait seulement ou, si l’on veut, remettait en usage un mot qui existait depuis longtemps. En effet, bien avant lui, Marot avait dit :

Où decouroit un ruisseau argentin,

et Du Bellay :

Je voy les ondes encor
De ces tresses blondelettes
Qui se crespent dessous l’or
Des argentines perlettes.

Voyez encore ceci. Il y a un conte de La Fontaine où, une nonne ayant failli, l’abbesse qui va la punir est soudainement obligée à l’indulgence par un vêtement masculin que dans sa hâte elle apporte avec elle. La Fontaine, qui inventait peu, mais qui mettait admirablement en œuvre, avait pris son conte sans doute dans Boccace, mais peut-être aussi dans une farce du XVIe siècle, dont M. Génin loue l’originalité et même la finesse, — finesse cependant toute relative, car ce n’est pas dans les temps antérieurs que l’on trouve les récits moins graveleux, les expressions moins licencieuses, les enluminures moins grossières. Loin de là, le XIIIe siècle ne le cède pas au XVIe, et si l’on est de ceux qui pensent que le monde va en se gâtant et qu’il suffit de remonter en arrière pour voir reparaître l’innocence dont nous sommes si malheureusement déchus, on sera du moins forcé de convenir que cette innocence n’était pas facile à effaroucher. J’aime la langue de nos aïeux, plus correcte que la nôtre, la grammaire plus régulière, l’analogie mieux conservée ; mais c’est là tout, et de la pureté de la grammaire je ne conclus en rien à la pureté des mœurs. Dans cette farce, la nonne coupable, s’apercevant de la singulière pièce d’habillement que l’abbesse a mise sur sa tête, lui dit :

Ce qui vous pend devant les yeux…

Sur quoi M. Génin remarque en note : « Voilà probablement l’origine de cette façon de parler populaire : autant vous en pend à l’œil. L’ancien théâtre doit avoir enrichi la langue d’allusions autant que le moderne. » Il est vrai que l’ancien théâtre a enrichi la langue, mais cela n’est point vrai pour la locution pendre à l’œil. Elle se trouve dans un texte bien plus ancien que la farce dont il s’agit, car on lit dans Renart le Nouvel :

Teus (tel) rit au main (matin) qui au soir pleure ;
Et si redit-on moult souvent :
Chascuns ne set qu’à l’oel lui pent.

Malheureusement je ne puis que détruire la conjecture de M. Génin,