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tempérament, et on naît sage comme on naît peintre… Moi, je suis né soldat, avec beaucoup des défauts du métier et quelques-unes de ses qualités. » Il a en effet les qualités du soldat. Il a l’instinct, on pourrait dire l’amour de la guerre, et c’est lui qui prétend qu’à l’odeur de la poudre il relève la tête comme un cheval de course. Il a le coup d’œil, la promptitude de décision et d’action, et par-dessus tout une volonté indomptable sous laquelle il fait tout plier, même son corps ; car ce combat qu’on l’a vu soutenir dans ses derniers jours contre la maladie, ce fut la lutte de presque toute sa vie militaire : il semble n’échapper au feu que pour se mesurer avec cet autre ennemi. Ce sont ces qualités qui ont fait la fortune du maréchal Saint-Arnaud, et elles se retrouvent dans sa correspondance sous une forme libre et vive, originale et souvent piquante. Ce soldat de trempe vigoureuse est évidemment un homme d’esprit, soit qu’il parle de lui-même, soit qu’il cherche à pénétrer les mystères de la vie africaine, soit qu’il esquisse en passant quelque tableau de mœurs arabes avec une verve singulière.

Telles qu’elles sont, les Lettres du maréchal de Saint-Arnaud reproduisent plus ou moins, sans nul doute, la vie de tous ces officiers qui ont grandi en Afrique pendant vingt ans, et qui sont aujourd’hui partout à la tête de nos soldats. Des luttes, de la misère, le péril toujours renaissant, des embuscades sanglantes ; la maladie alternant avec le feu, une activité toujours dévorante, voilà cette vie. Il y a eu peut-être aussi le goût des récompenses, l’amour du grade supérieur ; mais où donc ne poursuit-on pas le grade supérieur, sans avoir toujours autant de titres ? Encore, dans cette noble et hasardeuse existence, combien de fois un mot ne suffit-il pas pour endormir la blessure d’une espérance déçue ! Une bonne parole d’un chef sur la brèche de Constantine, une citation à l’ordre de l’armée, c’est assez pour faire attendre plus patiemment la promotion ; puis on repart, puis avec un peu de bonheur on se réveille quelque jour sans savoir comment ont passé ces années fiévreuses et en se disant : « Me voilà général ! » Lorsqu’on mettait si souvent en doute la conservation de l’Afrique, qui aurait dit que là se formaient les hommes qui disposeraient en quelque façon de la France, qui l’abriteraient sous leur épée ? Saint-Arnaud dans ses Lettres s’occupe peu de politique ; en vrai soldat, il ne voit de la politique que ce qui conduit à la guerre. « Tu crains la guerre, dit-il en 1847, moi je l’appelle de tous mes vœux ; c’est peut-être le seul moyen de nous tirer d’affaire : c’est une grande et noble crise qui fera taire toutes les autres. Que le canon gronde, et l’on ne se révoltera plus… Les battemebs de l’aile du coq rappelleraient l’aigle qui dort. Tout le bonheur et la réussite des guerres est dans le moral des armées… Le secret de la gloire de Napoléon est dans le moral dont il avait su cuirasser ses soldats, moral né en Italie et en Égypte, malade à Leipzig et mort de consomption à Waterloo. L’Afrique l’a retrempé ; un bon chef le relèverait plus que jamais. Le maréchal Bugeaud est l’homme qui opérerait le plus vite cette grande cure. » Si le maréchal Saint-Arnaud s’est mêlé depuis à la politique plus directement, s’il a aidé à tuer la république, il faut reconnaître qu’il n’a tenu que ce qu’il promettait. Dès 1842, il annonçait qu’il combattrait toujours la république, parce qu’elle lui était odieuse, et après 1848 il ajoutait encore qu’avant de subir le joug socialiste, il se ferait