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souvenirs. C’est pourquoi, en croyant peindre l’Italie, il a peint son pays ; mais s’il s’est trompé dans le choix des tons, il a fait preuve d’une grande habileté dans le dessin de l’architecture et dans la forme qu’il a su donner à l’écume des vagues. D’ailleurs la différence que j’indique entre la couleur de l’Océan et celle de la Méditerranée, bien que facile à constater, n’est pas familière à tous les spectateurs, et parmi ceux mêmes qui ont vu le ciel et les flots d’Ischia, il y en a beaucoup dont la mémoire n’est pas assez fidèle pour contredire le tableau qu’ils ont devant les yeux. Si j’insistais plus longtemps sur le reproche que j’ai adressé à Stanfield, ils m’accuseraient de pousser la sévérité jusqu’à l’injustice, et mon intention n’est pas d’exagérer la gravité de sa méprise. Tel qu’il est, malgré les réserves que j’ai cru devoir faire, son Château d’Ischia est à mes yeux un charmant tableau qui tiendrait glorieusement sa place dans les plus riches galeries. Je n’aurais pas discuté le choix des tons, si cette composition n’avait pas pour moi une grande valeur. Quand on a devant soi l’œuvre d’un maître habile, la meilleure manière de prouver l’état qu’on fait de lui, c’est de n’omettre aucun détail, c’est d’analyser son travail dans toutes ses parties. Stanfield occupe dans l’école anglaise un rang trop élevé pour qu’il soit permis de parler de lui en passant. Pour son pays et pour l’Europe, c’est un peintre amoureux de son art, qui a voyagé le crayon à la main, dont le regard est pénétrant, et dont la main docile traduit fidèlement la pensée. Je ne devais donc rien négliger pour légitimer l’opinion que j’exprimais.

M. Leslie jouit dans son pays d’une grande renommée, mais je crois fermement que hors de son pays il n’atteindra jamais à la popularité. Ce n’est pas qu’il manque de talent ; il faudrait fermer les yeux pour ne pas reconnaître son habileté. Seulement il y a dans sa manière un excès de précision qui va souvent jusqu’à la sécheresse. Chacune de ses œuvres atteste une profonde réflexion, un grand amour de la vérité, et c’est là ce qui explique le succès qu’il obtient dans son pays, car les sujets qu’il choisit sont presque toujours des sujets nationaux. Il est donc facile à ses compatriotes d’apprécier la valeur de l’expression qu’il sait donner à ses personnages. Dans le reste de l’Europe, la nature même de ces sujets les rend plus difficiles à comprendre : on se préoccupe alors exclusivement de la peinture proprement dite, et je ne m’étonne pas qu’on se montre plus sévère. Il suffit de regarder pendant quelques instans les compositions envoyées à Paris par M. Leslie pour se rendre compte de cette diversité d’appréciation. Prenons la Reine Victoria recevant le saint sacrement le jour de son couronnement ; pour nous, ce tableau est complètement dépourvu d’intérêt, car nous ne connaissons pas les personnages que l’auteur a groupés autour de la souveraine. Le