Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/505

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

altération du fond par suite des nécessités qu’avait créées le christianisme, altération de la forme par le passage d’une poésie libre et chantée dans le tissu de chroniques rédigées en latin. Ceci posé, je puis aborder sans hésitation (il me le semble du moins) l’examen des traditions magyares.


II. – EPOPEE MAGYARE. – ATTILA, ARPAD, SAINT ETIENNE.

Si l’on aborde l’étude des traditions hongroises pièce à pièce, pour ainsi dire, et indépendamment de l’ensemble, on est choqué de ce qu’elles présentent, au premier coup d’œil, d’incohérent et de bizarre : de grossiers anachronismes y arrêtent le lecteur à chaque pas, et le rôle des personnages historiques y semble interverti comme à plaisir ; mais si, se plaçant dans une sphère plus élevée, on cherche à saisir, à travers ces fragmens traditionnels, une pensée d’ensemble, on s’aperçoit qu’ils se relient effectivement les uns aux autres pour ne former qu’un tout. De ce point de vue, l’incohérence disparaît, les anachronismes s’expliquent, les antinomies se perdent dans une vaste unité, et l’on voit se dessiner comme l’esquisse d’une épopée dont les héros seraient Attila, Arpad et saint Etienne : Attila, le père commun et la gloire de tous les Huns ; Arpad, le fondateur du royaume des Magyars, et Etienne, leur premier saint et leur premier roi, leur initiateur à la vie chrétienne et civilisée. Attila, Arpad et saint Etienne personnifient les trois époques dans lesquelles se divise l’histoire héroïque du peuple hongrois, et c’est avec ce caractère qu’ils nous apparaissent dans la tradition, concourant à une action commune malgré la différence des temps, et fils les uns des autres non pas seulement par la chair, mais par l’esprit.

Attila plane sur cette trilogie épique ; il la domine, il la remplit de son intervention directe ou cachée. Patron inséparable de la nation magyare, il ne reste étranger à aucune des péripéties de son existence ; quand elle change, il change avec elle ; il subit ses transformations, et il y préside. Qu’elle vienne d’Orient ou d’Occident, des bords de la Mer-Caspienne à ceux de la Théïsse, c’est lui qui l’appelle et la conduit dans le royaume qu’il a préparé lui-même à ses petits-fils ; que, cédant à une inspiration du ciel, les Magyars se fassent chrétiens, c’est aux mérites d’Attila qu’ils le doivent : Attila a préparé cette conversion à travers les siècles par sa docilité sous la main de Dieu, dont il était le fléau. Arpad n’est pas seulement son descendant, c’est le fils de son esprit ; Almus, père d’Arpad, est une incarnation d’Attila. Si un autre de ses petits-fils, Etienne, obtient du pape, avec des bénédictions et des grâces sans nombre, la sainte couronne de Hongrie, ce palladium de l’empire des Magyars, c’est