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humaine plus longue que partout ailleurs ; l’or et l’argent y naissent à la surface du sol ; les fleuves y routent pour cailloux des émeraudes et des saphirs ; les hommes s’y nourrissent de miel et de lait. Là tout le monde est riche, et le bouvier fait paître ses bonds en manteau d’hermine.

Vers le sixième âge du monde, les Moger, qui se sont multipliés comme le sable des rivages, veulent envoyer un essaim au dehors. Ils réunissent leurs cent huit tribus, qui fournissent chacune dix mille guerriers ; c’est là l’armée d’émigration. Elle nomme ses chefs militaires, au nombre de six, trois dans la famille de Zémeïn et trois dans la famille d’Erd. Les trois chefs de la race de Zémeïn sont Béla, Kewe et Kadicha ; les trois chefs de la race d’Erd sont Attila, Buda et Rewa. Les six chefs nomment à leur tour un grand-juge chargé de réprimer les crimes et de faire exécuter les criminels, sauf la décision souveraine de la communauté ; son autorité va jusqu’à suspendre ou révoquer, en certaines circonstances, les chefs militaires eux-mêmes. Ils élèvent à ce poste suprême, qui balance leur pouvoir et le dépasse quelquefois, Kadar, de la maison de Turda, souche d’une grande famille hongroise, ainsi que Zémeïn et Erd. L’Attila de la tradition a pour père Bendekuz, et non pas Moundzoukh, comme celui de l’histoire ; son frère Bléda devient ici Buda, à cause de la ville de Bude, dont on le suppose fondateur, et le roi Roua ou Rewa n’est plus oncle, mais frère d’Attila.

Ce ne sont pas seulement les nobles de la Hongrie que la tradition place autour du futur conquérant, ce sont aussi ses institutions primitives. Attila n’y figure pas comme un roi, mais comme un simple chef, et les Huns y sont organisés en république militaire, à l’instar des premiers Magyars. Il n’est pas jusqu’à cette charge de grand-juge, dont est investi Kadar, qui ne soit une institution contemporaine de l’établissement des Hongrois en Europe. La tradition nous parle encore d’une loi qu’elle appelle scythique, et qui aurait été en vigueur parmi les compagnons d’Attila. Chaque fois que la communauté devait se former en assemblée générale pour délibérer sur quelque objet important, ici qu’une expédition de guerre, une levée en masse ou le jugement d’un chef, un crieur public, quelquefois une femme, parcourait le pays de village en village, ou les campemens de tente en tente, brandissant une lance trempée de sang et psalmodiant par intervalle la formule suivante : « Voix de Dieu et du peuple magyar ! que tout homme armé soit présent tel jour, en tel lieu, au conseil de la communauté ! » Celui qui manquait à la convocation sans motif suffisant était traîné devant le juge et éventré avec un couteau. Quelquefois, par grande indulgence, on ne le condamnait qu’à la servitude perpétuelle, et il devenait esclave public.