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montagnes comme d’un vaste incendie. Attila descend, et la bataille s’engage. Huit jours entiers on se bat sans repos ni trêve ; enfin le Seigneur livre aux mains d’Attila la terre des Slaves et des Croates, parce que ces hommes étaient infidèles, et que le roi des Huns avait obéi docilement aux ordres de Dieu.

« Maître de la Croatie et de l’Esclavonie, Attila passe la Drave. Plus il parcourt le pays qu’il a conquis, plus il l’aime. Du pied des Alpes au Danube, ce ne sont que prairies verdoyantes, tapissées de hautes herbes, peuplées de troupeaux et de pâtres, de jumens et de poulains indomptés. Au-delà du Danube et de la Théïsse s’étend une contrée plus spacieuse encore et plus belle, plus riche en prairies, plus abondante en moissons. Longtemps il avait roulé dans son esprit le projet de retourner en Asie, au berceau de ses ancêtres ; il délibère de nouveau en lui-même s’il accomplira ce dessein, ou s’il se fixera dans le pays soumis par ses armes. Se souvenant alors de la promesse de l’ange, il se décide à rester, établit son armée à demeure, distribue la terre aux princes et aux barons, et, du consentement de tous, règle que son fils aîné sera roi après sa mort. »

Attila avait alors cent vingt-quatre ans, ce qui n’était pas chez les Huns un âge très avancé, puisque son père Bendekuz vivait encore et gouvernait en Asie la tribu des enfans de Nemrod. À cet âge, il n’a rien perdu de l’ardeur et des passions de la jeunesse. Un peuple de femmes qu’il augmente sans cesse par de nouveaux mariages remplit son palais : à leur tête figurent deux princesses de sang illustre, la Romaine Honoria ; fille d’Honorius, empereur de Grèce, et la Germaine Crimhild, fille du duc de Bavière. Chacune d’elles lui a donné un fils, déjà sorti de l’adolescence : le fils d’Honoria se nomme Chaba, celui de Crimhild Aladarius. Enfans de deux mères rivales, ces deux jeunes gens se jalousent, et leur inimitié menace l’empire des Huns de déchiremens et de ruine. Nous trouvons ici un mélange bizarre de la tradition nationale avec la tradition allemande ; celle-ci a fourni Crimhild, celle-là Honoria. La vanité asiatique n’a pas voulu que l’amour d’une fille d’empereur romain, si indigne qu’on la supposât, fut perdu pour un roi des Huns, et elle a marié Attila à la petite-fille de Théodose. Elle a fait plus : elle a voulu que sa descendance légitime se perpétuât seulement par cette méprisable folle qu’il ne réclama jamais sérieusement, et qu’il dédaigna quand il put l’avoir. Honoria, dans la tradition magyare, est la véritable épouse d’Attila, la souche féminine des ducs et rois de la Hongrie, l’aïeule prédestinée de saint Étienne.

Cependant arrive du fond de l’Asie à la cour d’Attila une jeune fille d’une incomparable beauté, que son père, roi des Bactriens, offre pour épouse au grand roi des Huns. Elle se nomme Mikolt, et