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plus douces que les Européens, la cause en est surtout aux saisons qui chez eux ne sont point marquées par de grands changemens de chaleur ou de froid, mais offrent une température presque égale. Il n’y a pas alors ces vives secousses de l’âme et ces fortes révolutions du corps, qui naturellement effarouchent l’humeur et la rendent plus indocile et plus violente qu’elle ne le serait dans une situation uniforme, car ce sont les brusques passages d’un extrême à l’autre qui excitent le moral des hommes et ne le laissent pas en repos. C’est par ces causes, ce me semble, que les Asiatiques sont pusillanimes, et de plus par leurs lois. La plus grande partie de l’Asie est soumise à des rois, et là où les hommes ne sont pas maîtres d’eux-mêmes et libres, mais régis despotiquement, ce n’est pas raison pour eux de s’exercer à la guerre, mais bien plutôt de cacher leur courage, car le danger qu’on leur propose n’est pas également partagé. On les contraint d’entrer en campagne, de souffrir et de mourir pour des maîtres, loin de leurs enfans, de leurs femmes et de leurs amis. Tout ce qu’ils feront de courageux et de viril élève et enracine leurs maîtres, et pour eux, ils ne moissonnent que le péril et la mort. De plus, il est inévitable que la terre de ces pauvres gens soit dévastée par les ennemis et par l’inaction. C’est pourquoi, s’il naît parmi eux quelqu’un de courageux et d’énergique, il est détourné de son génie naturel par les lois. Voici une grande preuve de cette vérité : tous ceux qui dans l’Asie, Hellènes ou barbares, ne sont pas soumis à des maîtres, mais libres sous leurs propres lois, et travaillent pour leur propre compte, tous ceux-là sont très braves ; les périls qu’ils courent, ils les courent pour eux-mêmes ; ils emportent eux-mêmes le prix de leur valeur, comme ils souffriraient eux-mêmes la peine de leur lâcheté. »

Je n’oserais, après M. Villemain, rechercher ce qu’il y a de vrai et de faux dans cette théorie, et comparer ce passage avec le chapitre correspondant de Montesquieu. Qu’il me soit permis de remarquer cependant que toutes les théories de ce genre renferment un cercle vicieux. Si les climats ont une influence directe sur le caractère moral et le courage des hommes, ces diverses qualités réagissent à leur tour et influent sur la nature du gouvernement. Si les habitans d’un pays sont courageux, indépendant, s’ils aiment la littérature, la philosophie, tout ce qui grandit l’esprit humain, ils sont libres. Pour être asservi, il faut posséder les vertus de la servitude. Ce ne sont pas les institutions politiques qui agissent sur la nature des hommes, c’est cette nature qui domine les institutions, et les fait varier avec elle. Une nation asservie par hasard peut quelque temps subir l’influence pernicieuse du despotisme, mais elle ne tarde pas à reconquérir l’indépendance, si elle en est digne. Les deux