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C’est sur ce dernier point surtout que l’école d’Hippocrate différait d’une école voisine de l’île de Cos, et établie sur le continent de l’Asie-Mineure, dans le temple de Cnide. Le médecin le plus célèbre de cette école est Euryphon, dont les ouvrages sont perdus aujourd’hui, mais dont Galien et les attaques d’Hippocrate, un peu plus jeune que son rival, nous l’ont assez exactement connaître les opinions. Il avait publié un ouvrage intitulé les Sentences cnidiennes, qui a joui d’une grande réputation, et l’on retrouve ses opinions dans un des bons traités de la Collection hippocratique, celui des Affections internes. Cette école, que la gloire d’Hippocrate a longtemps éclipsée, ne manquait ni d’hommes distingués ni de théories ingénieuses, plus vraies souvent et plus pratiques que celles du grand médecin qui nous occupe. Ainsi à Cnide on ne s’inquiétait guère des principes de la séméiotique, qui faisaient la base de la théorie et de l’enseignement d’Hippocrate. Lorsqu’un cnidien était appelé près d’un malade, il n’étudiait pas l’état général, mais, considérant chaque symptôme en particulier, il s’efforçait de le combattre. Pour lui, la maladie n’était pas un être qu’il fallait faire disparaître tout entier par un traitement toujours analogue, c’était une succession de phénomènes qu’on devait combattre tour à tour, sans s’inquiéter si les uns étaient plus graves que les autres. C’est là ce que leur reprochait Hippocrate. Tandis que pour lui le principal travail du médecin consiste à distinguer chaque symptôme, à lui assigner son rang, et à ne s’occuper que de ceux qui jettent du jour sur l’état général du malade, pour les cnidiens tous les symptômes sont égaux, et il faut s’occuper de tous également. — Dans vos descriptions de maladies, disait-il à Euryphon, vous vous comportez comme un homme du monde qui ignore la science. Vous mettez sur la même ligne les choses les plus diverses ; il en résulte que vous reconnaissez presque autant de maladies que de malades, puisque pour vous chaque symptôme est une maladie qu’il faut traiter séparément, et que les symptômes varient tous avec l’âge, le genre de vie, la personne du malade. La phthisie de l’un n’est pas la phthisie de l’autre. Ainsi s’introduit une grande confusion dans la pathologie, les maladies deviennent fort nombreuses, et les règles absolues sont impossibles. — C’est en effet ce qui arrivait aux cnidiens, et longtemps on a abandonné leurs doctrines, celles d’Hippocrate présentant plus de logique et plus d’ensemble. Au lieu de rechercher les différences des maladies, les médecins de Cos en supposaient on en prouvaient l’unité, tandis que les cnidiens ne faisaient reposer leur pratique que sur des expériences mal faites, et ne pouvaient enseigner à leurs disciples une science qui pour eux-mêmes n’avait rien de fixe et de précis.

Ces deux théories, on le voit, étaient fort différentes, et elles conduisaient