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de l’autre. Les parens sont là, des amis sont invités. Grâce à ce patronage, qui met chacun plus à l’aise, on devrait échanger quelques paroles et tâcher de se connaître ; mais la sauvagerie des pauvres solitaires est si farouche, que la svacha se donne presque toujours les peines les plus comiques et les plus inutiles du monde pour délier les langues engourdies. Ce second acte (on l’appelle en russe svidanie ou le revoir) est suivi presque immédiatement du troisième, appelé rukobitie ou la poignée de main. La jeune fille s’est décidée ; elle donne sa main soit à la svacha, soit au fiancé lui-même. Le quatrième acte arrive bientôt ; c’est la soirée virginale (devitschnik) où la jeune fille prend congé de toutes ses compagnes. On prend du thé, on danse aux sons du violon ou de la balalaïka nationale, petit instrument à quatre cordes que l’on vend pour quelques kopeks dans toutes les foires et toutes les boutiques de Sibérie. C’est ce soir-là que les compagnes de la jeune fille défont ses nattes de cheveux et les lui rejettent sur le sommet de la tête ; elle ne les nattera de nouveau qu’après le mariage, mais ce sera pour les tenir toujours enfermés sous un chaperon. Enfin le cinquième acte va s’accomplir, et là encore il y a de curieux usages à signaler. On sait quel rôle jouent les images saintes dans l’existence du paysan russe. Citons une page de M. Hansteen, qui fera apprécier la précision de l’observateur et la gracieuse simplicité du peintre :


« Chaque chambre de chaque maison doit contenir une obras, c’est-à-dire une image sainte. Ces images sont placées ordinairement dans un coin, à côté de la porte, et suspendues à peu près à hauteur d’homme. Dès le matin, sitôt qu’il est sorti de son lit et qu’il s’est lavé le visage et les mains, le paysan russe va se prosterner et faire trois signes de croix devant l’obras. S’il entre dans une chambre où il n’a pas encore mis le pied de tout le jour, que ce soit dans sa propre demeure, ou dans une maison étrangère, la même cérémonie recommence. N’essayez pas de lui parler avant qu’il ait accompli ce pieux devoir ; tant qu’il n’a pas fait ses dévoilons à l’obras, le Russe ne voit rien et n’entend rien. Les familles protestantes elles-mêmes sont obligées d’avoir les saintes images dans leurs demeures, car dès qu’un homme du peuple entre dans la maison, il cherche l’obras dans tous les coins, et son embarras est grand quand il ne l’aperçoit pas. Il lui semble, — c’est la formule habituelle de sa surprise, — il lui semble qu’il est chez des païens, ou qu’il vient de passer le seuil d’une étable de pourceaux. Devant cette image, ou plutôt devant ces images (car plus il y en a, mieux cela vaut), un cierge est fixé sur une espèce de clou à forme recourbée. Quand la famille a quelque aisance, le cierge est orné d’une feuille d’or qui s’enroule de bas en haut et enveloppe toute la tige. Chez d’autres un peu plus riches, une lampe de verre est suspendue devant la plus précieuse des images. Les obras sont les pouvoirs tulélaires qui veillent sur la famille, et elles se transmettent de la mère, à la fille à travers bien des générations.

« Chez les pauvres gens, en Sibérie par exemple, où les arts plastiques