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Il serait contraire à la providence de Dieu de créer exprès leurs âmes pour cette vie, et au même instant de les en ôter. » — « Si l’âme n’a pas vécu déjà avant de naître, il s’ensuit que Dieu la créa dans des circonstances déshonorantes pour lui, par exemple au moment d’un viol ou d’un adultère ; Telles sont ces instances à l’aide desquelles on oblige le créateur à sortir de son sublime repos ! La passion la plus déshonnête ou la plus scélérate trouve en lui, dès qu’elle le veut, un coopérateur fidèle, qui se hâte de venir couronner par un complément infini ce qu’elle lui a si misérablement préparé ! Non, je ne vous accorderai jamais que le miracle de l’apparition d’une âme nouvelle au milieu de l’univers puisse avoir lieu sur une sommation de cette espèce. »

Tels sont les argumens présentés par M. Reynaud en faveur de son système. Ne vous semble-t-il pas que nous soyons dans la vieille Sorbonne ? Toute cette discussion est tirée des livres de saint Augustin sur la grâce. Du XIXe siècle nous voilà retombés au temps d’Origène. Ne sentez-vous pas dans ces sortes d’argumens je ne sais quoi de suranné qui rebute et qui engage, non pas à réfuter le livre, mais à le fermer ? Et ajoutez que le livre en est plein, que M. Jean Reynaud se transporte toujours, pour raisonner, au sein de l’essence divine ; que de l’infinité et de la justice de Dieu il conclut la nature du monde, l’histoire des âmes, le système île leurs migrations. — Dieu est infini, dit-il ; donc il y a une infinité d’âmes et de mondes. Dieu doit toujours agir pour être toujours semblable à lui-même ; donc il crée de toute éternité et il créera toujours, et à chaque instant, une infinité de mondes. Dieu est bon, donc il propose pour destinée à toutes ses créatures un perfectionnement indéfini. Dieu est juste, donc il conduit chaque âme après la mort dans un monde approprié à ses mérites. Dieu crée les êtres à son image, donc il donne à l’âme une puissance de former et gouverner le corps analogue à la toute-puissance par laquelle il façonne lui-même et organise la matière. — là mille autres conséquences de cette espèce. Jusques à quand se servira-t-on de cette méthode ? N’est-elle pas assez condamnée par l’expérience ? Ne sait-on pas que selon les mains qui la manient elle peut produire tous les systèmes ? n’a-t-on pas mesuré tout ce qu’elle renferme d’incertitude et de témérité ? Définir Dieu comme une figure de géométrie, déduire de cette définition les règles de son action, le conduire par la main dans la création et dans le gouvernement du monde, se révolter contre les faits quand on ne les trouve pas conformes au roman qu’on s’est forgé, en inventer d’autres à perte de vue pour pallier les objections qui s’accumulent, arranger de toutes pièces l’âme et la matière, gouverner et réformer l’univers comme si l’on était Dieu soi-même, est-ce là