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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 juillet 1855.

C’est une lutte étrange en vérité qui se poursuit aujourd’hui. Elle a le sort des grandes questions, toujours difficiles à définir et à préciser, et dont néanmoins tout le monde aperçoit la gravité. Née d’un instinct universel de conservation, impliquant les intérêts les plus essentiels, commune au fond à tous les peuples et inégalement soutenue par les divers gouvernemens, elle se ressent de cette complication d’élémens et de ces différences de position. Elle a ses incidens, qui sont les faits de la guerre et les négociations de la diplomatie ; elle a son caractère général, qui se maintient à travers tout. Aujourd’hui comme il y a six mois, comme il y a un an, c’est une grande question de sécurité publique, et si l’évidente nécessité, de la lutte actuelle avait besoin d’être démontrée, elle se révélerait tout entière dans les difficultés que rencontre la politique occidentale. Qu’on examine bien en effet : voici une puissance, qui touche au nord et au midi, et qui compte une population de soixante-dix millions d’hommes ; elle dispose de la force morale la plus considérable qui soit au monde, la force religieuse ; elle a des citadelles qui ne seront point inexpugnables sans doute, mais devant lesquelles nos armées sont arrêtées depuis dix mois. Au nord, la plus immense flotte qui ait sillonné les mers cherche le point vulnérable où frapper ce vaste corps, et ne parait pas l’avoir trouvé jusqu’ici. Par ses mille moyens d’influence et d’intimidation, cette puissance est parvenue à se faire un rempart de l’immobilité de l’Allemagne ; elle réduit la Prusse à l’inertie, elle paralyse l’Autriche. N’y a-t-il point dans tous ces faits la justification la plus éclatante de la résolution de la France et de l’Angleterre ?

Dans l’Europe telle que la civilisation l’a faite, il n’y a point de place évidemment pour une domination toujours en expectative, pour une prépondérance toujours menaçante, qui peut mettre à la première occasion tout un continent dans l’alternative de subir le joug ou de prendre les armes.