Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lorsque ce malheureux esprit a constamment dominé dans les cortès malgré les efforts de quelques hommes de courage et de talent comme MM. Rios Rosas et Nocedal, lorsqu’une semblable politique, disons-nous, est suivie par les législateurs de l’Espagne, Faut-il s’étonner qu’elle ait ses conséquences naturelles, et que l’anarchie gagne le pays ? C’est du vote de la loi de désamortissement qu’est née l’insurrection carliste. Les premiers mouvemens de l’Aragon ont été comprimés il est vrai ; mais chaque jour des bandes se montrent sur divers points. Celle du cabecilla Marsal, qui s’est levée dans la Catalogne, est probablement beaucoup moins battue que ne le disent les bulletins, et récemment encore les factieux sous les ordres des frères Hierro arrêtaient le courrier de France au cœur même de la Castille. Si l’on veut d’ailleurs apprécier le danger de ces insurrections, on n’a qu’à voir comment en usent les autorités. En vertu d’un bando du capitaine-général de la Castille, tout individu qui ne signalera pas à l’autorité le passage des carlistes est passible d’une amende qui varie de 500 à 2,000 réaux, suivant l’importance de la population. Les membres des municipalités qui négligeront de donner cet avis passeront devant une commission militaire ; les médecins et curés qui prêteront leurs secours matériels ou spirituels aux carlistes seront considérés comme receleurs ou complices. En réalité, l’insurrection carliste n’a point cessé d’être un danger. Puis est venue l’agitation ouvrière de Barcelone, qui s’est manifestée par d’effroyables crimes. Ces désordres se sont apaisés un moment, les ouvriers sont rentrés dans leurs fabriques ; mais la question n’est qu’ajournée évidemment, elle peut renaître d’un instant à l’autre, et le gouvernement le sent si bien, qu’il s’est hâté d’accumuler les troupes en Catalogne. Seulement, le jour où il voudra agir, il risque d’avoir contre lui la milice nationale de Barcelone, et alors ce sera peut-être une lutte sanglante et décisive. Il n’est point enfin jusqu’à une ville fort paisible d’habitude, Badajoz, qui n’ait eu récemment ses scènes de désordre. Il s’agissait d’un fait très vulgaire. Autrefois les personnes qui fréquentaient le marché de la ville étaient obligées de déposer leurs marchandises dans des cases dont elles payaient le loyer aux propriétaires. Le seul profit que les marchands de Badajoz aient trouvé dans la révolution de 1854, c’est de s’affranchir de l’obligation de ce loyer en allant s’installer sur une autre place. Mais voici qu’il y a peu de jours on a voulu rétablir l’ancien état de choses ; alors on s’est insurgé et on est allé briser les cases en question, tout cela au cri de vire Espartero ! comme en Catalogne. C’est une affaire toute locale sans doute ; malheureusement ce qui a un caractère politique, c’est que la milice nationale s’est mise du côté des émeutiers, de même que la milice nationale de Barcelone a pris parti pour les ouvriers. Ces divers faits ne sont-ils pas les symptômes de l’anarchie extérieure ou latente qui travaille l’Espagne ? Et naturellement on fait la réflexion que cette anarchie se produit un an après la révolution de 1854, neuf mois après la réunion solennelle de cette assemblée qui devait sauver le pays, et qui n’a point encore achevé une constitution !

Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’il s’opère depuis quelque temps une réaction évidente au-delà des Pyrénées. Il se manifeste à l’égard du congrès des dispositions à peu près semblables à celles qu’on vit en France en 1849, lorsque l’assemblée constituante menaçait de prolonger son existence. Déjà même