Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et Mazarin dut mourir dans la ferme persuasion qu’il y avait disposé Louis XIV.

En témoignage de ses efforts constans pour préparer le jeune prince à prendre la direction personnelle des affaires, on pourrait citer presque toutes les lettres de Mazarin. Je me borne à quelques lignes extraites de celle qui ouvre sa correspondance avec le roi. « Je vous dirai sans exagération que j’ai lu votre lettre avec une extrême joie, car elle est fort bien écrite, et vous vous engagez d’une telle manière à vouloir vous appliquer aux affaires, et vous n’oubliez rien de ce que vous croyez nécessaire pour devenir un grand roi. Vous jugez aisément combien cela me touche, puisque vous savez en quels termes j’ai pris la liberté de vous parler si souvent là-dessus. Je vous réplique de nouveau qu’il ne dépendra que de vous seul d’être le plus glorieux roi qui ait jamais été, Dieu vous ayant donné toutes les qualités pour cela, et n’étant à présent besoin d’autre chose que de les mettre en usage, ce que vous ferez avec facilité et toujours de bien en mieux, acquérant par l’application aux affaires la connaissance et l’expérience qui vous est nécessaire. J’ai tâché de vous bien servir, au moins j’y ai employé mes petits talens, et il a plu à Dieu de bénir ma conduite par la bonté qu’il a pour votre personne sacrée et pour le royaume qu’il vous a soumis. Si une fois vous prenez le gouvernail, vous ferez plus en un jour qu’un plus habile que moi en six mois ; car est d’un autre poids et fait un autre éclat et impression ce qu’un roi fait de droit fil, que ce que fait un ministre, quelque autorisé qu’il puisse être. Je serai le plus heureux des hommes si je vous vois, comme je n’en doute pas, exécuter la résolution que vous avez prise, et je mourrai très satisfait et content à l’instant que je vous verrai en état de gouverner de vous-même, ne vous servant de vos ministres que pour entendre leurs avis, en profiter de la manière qu’il vous plaira, et leur donner après les ordres sur ce qu’ils auront à faire[1]. »

La lecture de cette correspondance suffit pour démontrer ce qu’il y a de mal fondé dans l’opinion trop généralement entretenue sur l’ignorance politique où ce ministre se serait efforcé de maintenir Louis XIV. Le peu de goût que le jeune monarque témoigne quelquefois pour les affaires y devient l’occasion de reproches journaliers ; les obstacles qu’il menace de créer par sa conduite et par sa faiblesse aux négociations importantes ouvertes pour son mariage et pour le rétablissement de la paix générale provoquent chaque jour des plaintes bien plus amères encore, et le ministre les exprime avec une telle rudesse de langage, qu’elle a fait de nos jours soupçonner la

  1. Le cardinal Mazarin au roi. De Notre-Dame-de-Cléry, 29 juin 1659.