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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/707

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Cependant, avant de rien entreprendre, Bold ira faire une visite à M. Harding pour lui apprendre la triste nécessité où il se trouve d’agir contre lui et voir s’il n’y a pas moyen d’arranger à l’amiable cette vilaine affaire. Il se rend donc le cœur tremblant, malgré son radicalisme, à l’hôpital d’Hiram, et trouve M. Harding entouré de ses pensionnaires et jouant du violoncelle dans le jardin. « — Ah ! bonjour, dit cordialement le sociable directeur ; vous avez eu une bonne inspiration de venir ce soir. Nous allons faire un tour ensemble jusqu’à ce qu’Éléonore nous appelle pour le thé. — Merci, monsieur Harding, répondit John ; je suis réellement désolé de venir vous troubler à une pareille heure, à propos d’affaires. — D’affaires ! dit M. Harding d’un air étonné et ennuyé à la fois. — Oui, je désirerais vous parler au sujet de l’hôpital. — Bien ! je serais très heureux… — C’est à propos des comptes. — Ah ! là-dessus, mon cher ami, je ne puis rien vous dire, car je suis ignorant comme un enfant. Tout ce que je sais, c’est qu’on me paie huit cents livres par an. Allez trouver Chadwick, il connaît tous les comptes. » Enfin le directeur finit par comprendre le but de la visite de John Bold, et il ne trouve pas un mot à dire pour sa défense. La parfaite innocence de cet homme qui s’est approprié un revenu qui ne lui appartenait pas, sans penser faire mal, perce dans les dernières paroles qu’il adresse à John Bold, qui lui demande pardon de la nécessité où il est réduit. « — Monsieur Bold, dit-il, si vous agissez justement dans toute cette affaire, si vous ne dites que la vérité et si vous ne vous servez pas de moyens illégitimes pour atteindre votre but, je n’aurai rien à vous pardonner. Je suppose que vous pensez que je n’ai pas droit au revenu que je tire de l’hôpital et que d’autres y ont droit à ma place. Quoi que vous fassiez, jamais je ne vous attribuerai de mauvais motifs parce que vous avez des opinions opposées à mes intérêts. Faites ce que vous regardez comme votre devoir. Je ne vous donnerai aucune assistance, je ne vous créerai non plus aucun obstacle. Toute discussion est inutile entre nous. Voici Éléonore, allons prendre le thé. » C’est avec cette incroyable candeur que M. Harding avait touché depuis son administration huit mille livres sterling auxquelles il n’avait pas droit, et qu’il eût été parfaitement incapable de rembourser.

Ce roman a une singulière physionomie. Il attaque les vices humains tels qu’on peut les observer dans les castes sacerdotales. Or on sait quelle tournure équivoque et désagréable ils prennent dans ces castes et dans tout ce qui les entoure. La convoitise, la rapacité, la sensualité n’y marchent pas comme chez nous le front levé ou sous un masque perfide ; tous ces vices se déforment et se rapetissent, louchent, grimacent, et, pardonnez-nous cette expression hardie,