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Voilà les défauts et les sentimens de ces livres, voilà la pensée qui les anime. Des deux romans que nous avons mentionnés, celui que nous préférons est Paix du cœur (leartscase). La pensée en est plus simple, la narration plus dégagée, moins chargée de détails parasites, les conversations, quoique fort longues encore, moins interminables. Il s’en échappe d’ailleurs un sentiment particulier et qui prête beaucoup à la réflexion : c’est que non-seulement la religion est un baume pour les douleurs de la vie, mais qu’elle est encore un acide qui corrode nos préjugés, et que cet acide est le seul qui puisse dissoudre ces montagnes d’injustices que, sous des noms hypocrites, nous élevons contre nos semblables. L’histoire est très simple : le fils d’un noble lord, Arthur Martindale, officier aux gardes du corps, a épousé, à l’insu de ses parens, une jeune fille bourgeoise, miss Violette Moss. Faire accepter sa femme à ses parens n’est pas difficile, mais la leur faire aimer est chose toute différente. Le frère aîné, John, qui a été éprouvé dans ses affections, et qui a eu à souffrir des préjugés de sa famille, n’a pas de peine à aimer la douce et timide jeune fille, non plus que lord Martindale ; mais les femmes sont plus difficiles à conquérir. Il y a là une preuve de bon sens donnée par l’auteur ; il est rare en effet qu’un homme, à quelque classe qu’il appartienne, maintienne impitoyablement ses préjugés contre une femme d’une classe différente de la sienne, et réciproquement ; nos préjugés à nous tous tant que nous sommes ne s’appliquent jamais qu’à un seul sexe. La pauvre Violette put en faire l’expérience. Elle est bientôt l’idole de tous les hommes, mais elle ne rencontre chez les femmes qu’injustice et dédain. Il y a là une certaine vieille tante, mistress Nesbit, qu’il est dangereux de mécontenter, car d’elle dépend en partie la fortune des siens, qui est un puits intarissable de préjugés, et qui, par son amour pour les unions bien assorties, ferait le malheur de toute sa famille. Elle a déjà brisé le cœur de l’aîné en s’opposant à son mariage ; elle désapprouve l’affection de sa nièce pour le fiancé de son choix : on peut imaginer de quel œil elle voit le mariage d’Arthur. Il y a là aussi lady Martindale, bonne dame d’un caractère faible, soumise à la domination de la tante, et qui n’ose pas sentir et penser autrement qu’elle. Il y a là enfin Théodora, la sœur d’Arthur, jeune fille orgueilleuse, d’un caractère volontaire et bien trempé, qui a pour son frère une affection profonde, et qui s’indigne presque de voir que maintenant cette affection va être partagée par une étrangère introduite subrepticement dans la famille. C’est ce monde féminin que Violette doit conquérir, et elle le conquiert par la patience, l’humilité et la religion.

Tout l’intérêt du roman se concentre sur deux femmes, Théodora