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Gesù Maria ! s’écria Tognina, il parle comme un prédicateur ! Si Giacomo vous entendait maintenant, il vous placerait au moins à côté de san Pietro et de san Paolo. Pour moi, qui dors fort bien et qui n’ai pas de chagrins, je n’ai pas besoin d’avoir recours à la poésie pour me guérir, et j’ignore quel goût elle a et de quel pays elle vient.

— Elle est aussi douce qu’auraient été pour moi vos baisers, si vous aviez rempli le message dont on vous a chargée, dit Lorenzo ; elle est de tous les pays et de tous les temps, et se trouve aussi bien dans les fleurs que nous admirons ici que dans vos beaux yeux noirs, qui révèlent les tendres sentimens dont votre cœur est rempli.

— Qu’en savez-vous ? répondit Tognina avec entrain. Et croyez-vous donc que je vous aurais donné trente-six baisers, pour vous laisser le temps de les déguster ?

Cette repartie fit sourire Beata, tandis que Lorenzo, poursuivant son idée avec enthousiasme : — Oui, dit-il, la poésie est l’essence de toutes les choses grandes et belles ; elle rayonne avec la lumière, elle éclate dans un ciel étoile ; nous la respirons avec la brise ; elle flotte comme une vapeur dans l’espace infini, dans l’horizon de la mer profonde, dans une vallée riante, au fond d’un précipice qui vous donne le vertige, dans le mouvement et dans le repos, dans le bruit et dans le silence extrêmes ; on la trouve dans un tableau, dans un livre, dans un chant, dans une action qui nous touche et nous élève l’âme, et surtout dans un cœur épris d’un objet unique et charmant, car la poésie, c’est l’amour !

— Peste ! dit Tognina, décidément, mon cher Lorenzo, vous êtes plus fort que san Paolo e san Pietro, et cela vaut bien que je m’acquitte entièrement de ma commission.

Prenant Lorenzo par la main, elle déposa sur son front un gracieux baiser. Beata détourna la tête pour cacher la rougeur qui vint illuminer tout à coup son beau visage. Il y eut un moment de silence et d’embarras pendant lequel la fille du sénateur s’éloigna pour parler au cameriere, et lui demander quel cabinet on pouvait mettre à sa disposition. Le cameriere répondit, comme s’il eût deviné la pensée secrète de la gentildonna : « Je vous donnerai le camerino où j’ai déjà eu l’honneur de servir il giovine cavaliere qui vous accompagne. — C’est bien, dit Beata, celui-là ou un autre, peu importe. «  Innocent mensonge qui servait à dissimuler la véritable intention de sa démarche ! Après quelques tours de jardin, on fit une station sous un joli bosquet, où Tognina détacha une branche de chèvrefeuille et la mit à la boutonnière de Lorenzo en disant : « Qu’elle soit un gage de notre amitié (della nostra fratellanza) ! » faisant allusion à la cérémonie du jour. Par ces petits manèges de galanterie, Tognina