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vivaient comme des corbeaux perchés sur la cime des arbres. » Ces maisons montées sur des échasses se tiennent solides et fières au milieu d’un sol mouvant, au sein des eaux immobiles ou agitées. Si maintenant vous jetez les yeux sur le port, quel mouvement ! on dirait que toute l’activité des différentes parties du globe est réunie autour de ces magasins flottans qui apportent et qui remportent des marchandises. Ce mouvement s’étend de rue en rue et se communique à toute la ville. Parmi les modes de transport qui appartiennent à cette vieille cité, il en est un singulièrement original. Figurez-vous des traîneaux pesamment chargés et qui glissent sur le pavé comme sur de la glace. Il est vrai que, pour faciliter la traction, on place en avant du traîneau que conduit le cheval une espèce de tonneau percé qui verse l’eau en pluie, et qui trace ainsi la voie du mouvement. Un peuple de commissionnaires et de colporteurs, aux membres athlétiques, circule à travers la foule des boursiers, des marchands, des courtiers, dont la face pâle atteste une vie sédentaire et de sourdes inquiétudes. On voit à la démarche de ces hommes que chacun de leurs pas a un but, captant aut captantur. Il n’y a guère ici que les étrangers qui se promènent pour voir et pour se promener. Les banques, les sociétés de commerce, quelques fabriques, sont les vrais foyers de cette agitation immense et contenue.

Rotterdam est une ville plus jeune et plus aventureuse qu’Amsterdam ; elle n’a point la grandeur de son aînée ; on y chercherait en vain ces palais de marbre, au moins à l’intérieur, qui racontent toute l’histoire des richesses de la Hollande. On n’y voit pas ces rues pittoresques dont les magasins et les boutiques ont été accommodés au goût moderne, mais où le haut des maisons a conservé une forme ancienne, une physionomie sombre et sévère. Rotterdam s’élève sur la Meuse, qu’à cause de son caractère capricieux, on peut appeler la femme du Rhin. C’est dans cet endroit-là une belle rivière, presque une mer d’eau douce, avec un flux et un reflux. Comme Rotterdam est la première grande ville qu’on rencontre en venant de la Belgique, elle annonce dignement la Hollande. Les vaisseaux entrent dans toute la ville par une multitude de canaux qui se croisent et se continuent les uns les autres. Cette flotte pacifique, ces bâtimens de bois mêlés aux maisons de briques, ces mâts qui se marient aux flèches des édifices publics, ces voiles et ces pavillons qui flottent au vent, ces habitations bourgeoises dont les perrons descendent dans l’eau, ces comptoirs, ces magasins, ces tentes de toile sous lesquelles des hommes abrités comptent, notent, reçoivent, vérifient les marchandises ; la statue d’Érasme, c’est-à-dire l’esprit, le jugement, l’atticisme, debout au milieu de cette activité commerciale qui, elle aussi, poétise la matière, — tout cela laisse dans l’esprit du voyageur un long souvenir. Les habitans d’Amsterdam reprochent