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profit ses études persévérantes, et son espérance ne fut pas déçue, car le tombeau de saint Sebald est demeuré un sujet d’étonnement et d’admiration. Le nombre et la variété des figures, l’expression vraie des physionomies, la naïveté des attitudes ont assigné à Pierre Vischer un rang très élevé parmi les artistes européens. Les anges et les apôtres qui décorent ce pieux monument se recommandent par une grande élévation de style. Il est facile de comprendre que l’auteur a eu sous les yeux d’autres modèles que le type germanique, et pour vérifier ce que j’avance, il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à Nuremberg. Nous possédons à Paris même plusieurs figures, moulées sur ce tombeau, qui suffisent pleinement à déterminer la valeur esthétique de l’œuvre. Une des plus connues est le portrait de Pierre Vischer en costume d’atelier. Ce qui frappe dans ces morceaux, c’est l’alliance heureuse du savoir et de la simplicité. Le modèle vivant est bien rendu, et la fidélité de l’imitation n’enlève rien à l’énergie du mouvement. Le tombeau de saint Sebald, qui avait coûté treize ans d’un travail assidu à l’auteur, aidé de ses cinq fils, fut payé d’une manière plus que modeste. Les figures fondues en bronze pesaient 120 quintaux, et le tombeau tout entier fut estimé à raison de 21 florins le quintal. Or, en triplant même la valeur du florin, comme le veut la vérité historique, nous ne trouvons encore qu’un salaire bien au-dessous du travail ; mais Pierre Vischer était soutenu dans l’accomplissement de sa tâche par l’amour de son art et par la piété. Il voulait bien faire, surpasser tous les artistes de son temps, et ce n’était pas chez lui pure soif de gloire : il croyait mériter son salut en honorant dignement la mémoire de saint Sebald. Il ne pensait pas accomplir seulement une œuvre d’art, mais bien aussi et surtout une œuvre de foi. A cet égard, les témoignages contemporains ne laissent aucun doute.

Ce tombeau, d’après les fragmens qui sont entre nos mains et les gravures qui nous permettent d’en apprécier la composition, doit être considéré comme un des efforts les plus puissans du génie allemand. La renommée de Pierre Vischer effaça la renommée de Decker, qui avait jusque-là tenu le premier rang parmi ses compatriotes. Cependant, malgré ma profonde admiration pour le sculpteur de Nuremberg, je ne saurais le placer sur la même ligne que les sculpteurs italiens et français de la renaissance. Je ne parle pas, bien entendu, du grand Florentin à qui nous devons la chapelle des Médicis, car il défie toute comparaison ; mais Ghiberti et Jean Goujon me paraissent très supérieurs à Pierre Vischer, sinon par l’invention, du moins par l’élégance et la pureté de la forme. Les deux noms que je viens de rappeler sont entourés d’une telle vénération, et d’une vénération si bien méritée, qu’en plaçant au-dessous d’eux le