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entière. Quant à Lessing, son Laocoon restera comme une des plus belles œuvres de la critique moderne, car l’auteur ne s’est pas contenté d’expliquer le génie de l’antiquité, il a marqué d’une main sûre la limite qui sépare la statuaire de la peinture, et c’est là un service éclatant dont nous devons lui tenir compte. Parfois chez lui la finesse va jusqu’à la subtilité; mais jamais il ne se laisse aller au paradoxe.

Mengs, qui a parlé de l’antiquité et de quelques grands artistes modernes avec élévation, aurait obtenu plus de crédit, s’il n’eût voulu joindre l’exemple au précepte et démontrer, le pinceau à la main, ce qu’il avait exposé si clairement dans ses écrits. Au lieu d’accroître son autorité, il l’ébranla, car, s’il comprenait admirablement le beau, il était inhabile à l’exprimer. Le Parnasse, exécuté par lui dans une salle de la villa Albani, est là pour prouver ce que j’avance. Cette vaste composition, qui voudrait être poétique, n’offre aucun intérêt et ne parle ni aux yeux par la beauté de la forme, ni à l’esprit par la vivacité des physionomies. C’est une œuvre glacée, dont tout le mérite consiste en qualités négatives, et ce mérite ne suffit pas pour établir la sagacité du professeur le plus éloquent. Aussi je crois que Mengs a exercé sur l’Allemagne et sur l’Europe une action moins puissante que Winckelmann et Lessing. Toutefois, son nom ne doit être prononcé qu’avec reconnaissance. Animé d’intentions excellentes, en possession d’idées vraies, il a vulgarisé les principes de l’art parmi les gens du monde, et les hommes du métier pourront profiter de ses leçons, sinon de l’étude de ses tableaux.

Cette réaction salutaire fut malheureusement poussée trop loin, et suscita une réaction non moins vive en faveur du moyen âge. Les idées littéraires, qui n’avaient qu’une valeur spéciale et limitée, furent généralisées et dénaturées. Par respect pour les Niebelungen, on voulut ramener la peinture et la statuaire aux premiers maîtres florentins, et même à l’époque byzantine. Or, si l’imitation servile de l’antiquité est un malheur, l’imitation servile du moyen âge n’est pas une moindre absurdité. C’est mal comprendre, c’est méconnaître le sens du passé que de vouloir le recommencer. L’école allemande, qui s’était fourvoyée en essayant de se modeler sur l’école flamande et sur l’école française, aurait dû se tenir pour avertie après cette double méprise, et ne pas tenter la résurrection de Giunta, de Giotto et de Fra Giovanni. Elle n’a rien à gagner dans cette tentative. Si elle veut profiter des conseils de l’Italie, il faut qu’elle s’adresse aux grands maîtres de la renaissance; mais si elle espère se faire naïve en préférant le XIVe siècle au XVe en plaçant les fresques de l’Incoronata au-dessus des fresques du Vatican, exécutées sous Jules II et Léon X, elle se trompe, et ce n’est pas ainsi