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caractères : le chacal se nomme Pensée étroite, le corbeau, Bonne Intelligence. Dans le daim à l’humeur facile, qui aime à flâner en broutant l’herbe verte, dans l’herbivore que l’embonpoint gagne vite et dont l’esprit a perdu son acuité, l’auteur indien personnifie l’homme doux, replet, de mœurs complaisantes, ami de la paix, aisé à duper et lent à la défiance. Le vautour chauve, qui aime à percher sur les cimes nues et sur les branches mortes, devient le symbole du guerrier accablé par l’âge et les infirmités, qui essaie de résister encore aux assauts de l’ennemi, mais dont la vigilance se lasse à la fin ; pour le faire périr, il faut encore que toute la populace des oisillons, trompée par un traître, se rue sur lui à grands coups de bec. Tous ces traits sont finement saisis ; l’écrivain qui les trace avec autant de vérité n’avait point étudié les animaux dans les livres d’histoire naturelle, encore moins dans les galeries d’un musée. Il avait vécu dans l’intimité de ces bêtes familières, quadrupèdes, reptiles, oiseaux, qui, au milieu des villages de l’Inde comme au fond des forêts, semblent rechercher plutôt que fuir la présence de l’homme.


II.

Les apologues de l’Hitopadésa sont écrits en prose ; les vers y jouent cependant un grand rôle, mais un rôle à part : ils servent à exprimer l’idée morale. Entre les morceaux de prose, qui contiennent le récit, s’intercalent des sentences, des axiomes, des maximes, des vers empruntés aux drames, aux petits poèmes, aux épopées même de l’Inde ; ce sont là les ornemens de l’édifice, les fleurs de l’arbre qui nous surprennent par leur abondance et leur éclat, la partie véritablement succulente que les Hindous savourent avec délices. Le fabuliste indien ne se contente donc pas de recueillir au passage la fable qui a cours autour de lui, quitte à la jeter dans un moule plus achevé. Il veut composer un code de sagesse à l’usage des petits et des grands. Polir de beaux vers, lancer le trait, donner le coup de griffe en ayant l’air de faire patte de velours, ce n’est là ce qu’il cherche ; il a la prétention d’enseigner directement, parce qu’il est non-seulement poète, mais brahmane, et le brahmane dans l’Inde a le droit exclusif d’enseigner et de dogmatiser. Aussi, après avoir parlé dans les deux premières parties de son livre (l’Acquisition et la Désunion des amis) au peuple, à la société en général, — société déjà sur son déclin, que la corruption envahit de toutes parts, — l’auteur de l’Hitopadésa s’adresse hardiment aux rois. Il leur donne des conseils sur la politique intérieure, sur les rapports avec les princes leurs