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essentiellement plastiques, ou d’amasser des provisions pour l’avenir.

Ces conseils du reste et six mois de travail n’empêchèrent pas le résultat d’être un tableau manqué, et cela était inévitable. Aucune assistance au monde ne saurait faire sortir d’une main inexpérimentée une œuvre de haut style. Une couple d’années dépensées à l’aventure dans des études sans principes ne suffisent point pour accumuler les multiples élémens d’une création de cet ordre. Un esprit plus calme et plus maître de lui-même que celui de Haydon eût succombé à l’épreuve en l’abordant avec si peu de préparation ; mais ce qui rend plus grave cette erreur de jeunesse, c’est que Haydon a jugé son propre tableau à une époque avancée de sa carrière, et qu’en l’approuvant, il nous a permis d’y voir sa mesure définitive. C’est en 1834 qu’il écrivait ces lignes qui nous offrent un curieux exemple du point où peut arriver la faculté de s’aveugler soi-même : « Le sujet dont j’avais fait choix prêtait à une jolie composition, pour peu qu’il fût traité dans le sens poétique, et c’est ainsi que je l’avais entendu. L’ensemble était silencieusement tendre ; le paysage partageait l’intérêt avec les figures. La couleur était modulée et harmonieuse, le dessin correct. J’avais cherché à allier la nature et l’antique. Je n’ai jamais peint sans la nature, ni arrêté mes formes sans l’antique. Je n’avais avancé qu’avec une extrême circonspection, et je crois que mon œuvre, pour un premier tableau, peut être considérée comme une production extraordinaire. C’était une tentative pour réunir toutes les parties de l’art, et pour en faire un moyen d’exprimer la pensée, en les tenant dans une juste subordination. Le tableau avait de la couleur, de la lumière et de l’ombre, de la pâte et de la main, du dessin, de la forme et de l’expression. En le revoyant au bout de vingt ans, je fus tout étonné. »

Nous avons à peine besoin de remarquer que jamais, dans les chefs-d’œuvre mêmes des plus grands maîtres, on ne trouverait ce complet accord de toutes les perfections. Que le jeune Haydon, dans l’enivrement de ses vingt ans et de son ignorance, ait pu s’imaginer qu’il avait atteint un aussi haut degré d’excellence, cela est concevable ; mais rien que pour arriver à distinguer ces qualités, il faut à la plus belle organisation une longue pratique et un grand savoir, à plus forte raison la faculté de les apprécier et de les mettre en œuvre est entièrement hors de la portée d’un commençant. Que penser donc d’un homme qui, après vingt-cinq années d’expérience, n’a pas hésité à prononcer en ces termes sur son premier essai ? L’intelligence qui dans la maturité de l’âge gardait ainsi sans modifications les convictions de l’adolescence n’avait fait évidemment aucun progrès réel.

Le Repos de Marie et Joseph était terminé. Il s’agissait