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II.

Vers les dernières années de sa vie, Haydon vit se réaliser un de ses vœux les plus ardens. Un principe qu’il avait admis de bonne heure et qu’il s’était efforcé maintes fois de faire prévaloir fut adopté par le gouvernement. Il fut décidé que le grand art serait encouragé par l’état, et en 1841 le nouveau système s’inaugura par la nomination d’une commission royale chargée d’aviser à la décoration des salles du parlement. Bientôt les commissaires proclamèrent un concours préparatoire, en invitant les artistes du pays à envoyer des cartons composés sur une ample échelle et dans le sens de la peinture murale. Le concours, dont la clôture était fixée à l’année 1843, devait être suivi d’une exposition, et les envois devaient servir à donner la mesure des peintres, pour que la commission pût ensuite confier les travaux aux plus capables.

Haydon, malgré ses soixante-six ans, dressa l’oreille au son de cette trompette. Il n’avait rien perdu de son ardeur, et il se mit à l’œuvre avec un redoublement d’enthousiasme et une pleine certitude de l’emporter sur tous ses rivaux. « Hourrah, hourrah, hourrah, et encore un hourrah ! — lisons-nous dans son journal à la date du 13 juillet 1842, — mon carton est debout, et il me fait battre le cœur comme les grandes superficies me l’ont toujours fait battre. Des difficultés à surmonter, des victoires à gagner, des ennemis à terrasser, la nation à charmer, l’honneur de l’Angleterre à soutenir, hourrah, hourrah et encore un hourrah ! » Nous continuons à citer afin que le lecteur puisse apprécier au vif et sur nature la singularité de ce caractère, et afin aussi que les paroles mêmes de l’homme fassent pressentir la catastrophe que des sentimens aussi insensés à pareil âge semblaient inévitablement préparer.


« Mon carton est en train pour tout de bon. J’ai tout mis en place, avec de cruels momens d’agonie morale causés par ma position. Je me suis séparé de mes portraits de Raphaël et du pauvre ami Wilkie, afin de ramasser quelque argent pour les besoins du moment. C’est terrible, mais c’était inévitable. Darling (un de mes plus vieux amis) est venu me voir; il m’a prêté 125 francs. »

« 25 juillet. — Aujourd’hui, j’ai entamé la tête d’Adam (le sujet de son carton était la tentation de nos premiers parens); j’espère en la grâce de Dieu pour l’achever et pour achever la semaine, Amen. »

« J’ai un billet de 385 fr. 80 cent, qui devait être acquitté samedi et qui ne l’est pas. Aujourd’hui encore, à cinq heures, j’ai à payer 175 francs; je n’ai pas de quoi. Et ce sont là les agréables sensations dont il me faut dégager mon esprit avant de concevoir et d’exécuter le plus sublime et le plus