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qui passe, en matière d’art, pour avoir désappris toute notion des choses élevées. Il y a là évidemment un fait assez significatif, et j’en conclus non pas que l’Italie est aujourd’hui ce qu’elle était au XVIe siècle, non pas que le public de Paris ne recherche au théâtre que des impressions exclusivement littéraires, mais tout simplement qu’en dernière analyse les conditions pourraient bien être moins mauvaises que certains esprits chagrins se l’imaginent, et qu’il ne faut jamais désespérer.

Sans être de ceux qui voudraient voir dans l’apparition d’une tragédienne le signe manifeste de la renaissance intellectuelle d’un peuple, nous ne saurions refuser à cette apparition le grave intérêt qu’elle mérite, et nous nous sentons d’autant mieux disposé à l’accueillir qu’elle s’est produite sous les auspices de l’art, qu’elle nous a en même temps donné la mesure de l’esprit nouveau en Italie et de ses tendances au théâtre. Ce ne sont certes pas des chefs-d’œuvre que les tragédies de cette jeune école, et la plupart, pour l’étude des caractères et l’originalité des combinaisons scéniques, rappellent très souvent nos mélodrames. Il n’en est pas moins vrai que ces tentatives, si imparfaites qu’on les trouve, témoignent presque toutes d’un retour au pissé national, d’une vive et louable préoccupation de la langue des maîtres. J’accepte d’avance tout ce qu’on pourra dire de ces pièces, dont la conception trahit évidemment l’enfance de l’art, mais je demande aussi qu’on tienne compte du style, qui, presque toujours ferme et soutenu, s’élève par momens à la vraie poésie. Sans doute ces tragédies ne sont la plupart du temps que des mélodrames, mais des mélodrames empruntant leurs sujets aux récits de la Divine Comédie, et très souvent écrits dans la langue dantesque. Ce culte prononcé du sublime Florentin, ce retour vers la grande montagne, pour employer l’expression ingénieusement pittoresque de M. Ampère, vers le premier et le plus haut sommet de la littérature, me semblent généralement caractériser les efforts des auteurs italiens actuels. Ces efforts, qu’ils aient plus ou moins réussi jusqu’ici, méritent par leur nature même qu’on les encourage, car la voie dans laquelle ils s’accomplissent est la bonne, et l’Italie n’a pas de meilleur guide que le passé pour montrer l’avenir aux générations contemporaines. Cette inspiration dantesque qui préside aux œuvres dramatiques de l’autre côté des Alpes est d’origine toute récente, et diffère entièrement du système d’Alfieri. À ce propos, le docte et spirituel écrivain que je citais tout à l’heure me pardonnera-t-il de ne pas être de son avis lorsqu’il dit[1] qu’Alfieri cherchait à retrouver les traces et le langage de l’incomparable poète? Ce que cherchait l’auteur d’Oreste, de Brutus et de Mirra n’était-ce pas plutôt la trace et le langage de l’antiquité latine? et Sénèque n’a-t-il point à revendiquer sur cette inspiration des droits bien autrement légitimes que ceux qu’on pourrait vouloir attribuer à l’Alighieri? Puisque j’ai prononcé ce nom d’Alfieri, qu’il me soit permis d’en dire quelques mots en passant et de toucher rapidement au personnage avant d’aborder Mirra.

Il y a des poètes qui tirent tout d’eux-mêmes et doivent tout ce qu’ils sont à cette espèce de ver à soie qui file éternellement au plus profond de leur

  1. Voyez l’excellent discours de M. Ampère sur les Renaissances. Paris, Thunot, 1855.