simple et la plus naturelle du monde ; la réalité frappante de cette pâmoison, l’insensibilité complète où Myrrha est plongée, ôtent au public toute idée de prendre ombrage. J’ai plusieurs fois entendu reprocher à Mme Ristori sa manière de comprendre cette grande scène : il y a des gens qui l’accusent de manquer de calme, bien qu’à vrai dire je ne m’explique guère ce que le calme pourrait avoir de beau en pareille circonstance. Vouloir à toute force imposer à la tragédie les conditions de la statuaire me paraît la plus absurde prétention, et s’il est méritoire d’emprunter au marbre l’ampleur de ses draperies, l’harmonieuse majesté de l’attitude, — la passion humaine, que je pense, ne saurait abdiquer ses droits. D’ailleurs c’est une étrange erreur que de s’imaginer qu’au théâtre la tradition classique réprouve absolument certaines violences de pantomime, certaines frénésies. L’antiquité admet la possession divine, état convulsif de l’âme et du corps : en dedans, trouble, démence, fureur inassouvie ; au dehors, crise et catalepsie. Reproche-t-on à la pythie de manquer de calme ? Elle s’agite et se tord en proie aux divagations prophétiques du trépied, et, pour avoir la vie nerveuse plus développée que la Minerve de Phidias, elle n’en appartient pas moins à la même cosmogonie sacrée. En ce sens, on ne saurait estimer trop haut l’art immense que déploie Mme Ristori dans Mirra. Jamais plus grand souffle de l’antiquité n’était parvenu jusqu’à nous, non de cette antiquité muette et froide dont les musées nous conservent les débris mutilés, mais de celle qui fut, et que le génie a seul le don d’évoquer à travers le temps. Les autres, à Dieu ne plaise que je veuille attenter à leur gloire, sont d’admirables statues qui marchent. Celle-là, c’est la fille de Crète vivant et se mouvant dans l’atmosphère natale et réalisant ce prodige de faire qu’un public parisien de nos jours accoure en foule au spectacle de ces catastrophes absurdes, et s’y montre je ne dirai pas seulement impressionné, mais ému jusqu’à en ressentir comme l’épouvante et le vertige.
De la Mirra d’Alfieri à la Marie Stuart de Schiller, la distance est grande. Qu’on se rassure, nous aurons soin d’éviter les parallèles et les transitions, et si nous effleurons l’histoire de la reine d’Écosse, si nous touchons à la tragédie du poète d’Iéna, ce sera uniquement pour nous rendre compte de la manière dont Mme Ristori l’interprète, du sens réel et poétique qu’elle donne à sa conception. Marie Stuart appartient essentiellement à ces natures que le sentiment de leur supériorité n’abandonne jamais, et chez lesquelles l’orgueil de l’autorité se redresse plus implacable et plus absolu alors que les circonstances semblent se conjurer davantage pour l’humilier. Reine dans son château d’Holy-Rood, elle n’est que douceur, grâce et condescendance ; captive, elle devient hautaine, ne parle que de son droit, et se fait plus souveraine à mesure que la réalité de la royauté lui échappe. Son droit, ses prétentions au trône d’Angleterre, chimériques refrains dont sa douleur se paie, et auxquels pas un ne croit, pas même ces jurisconsultes qui l’entourent ! Henri VIII admis, et ses ordonnances acceptées du peuple anglais, il est clair qu’Élisabeth est reine légitime ; mais si, du fond de la prison où la retient cette vestale couronnée, Marie Stuart ne peut traiter d’usurpatrice la fille d’Anne Boleyn, de quelle supériorité s’armera-t-elle contre sa rivale ? sur quelle hauteur se placera-t-elle pour la mépriser ? Or ôter à Marie Stuart