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que les accidens du paysage, le caractère des habitans, l’étendue et la prospérité du territoire, c’est le mystère d’une formation et d’une destinée singulière, qui s’expliquent on partie par la nature, en partie par l’industrie humaine.

Uni et plat comme une mer parfaitement calme, échancré par des golfes ou des baies, entrecoupé de lacs intérieurs, baigné par des fleuves qui se ramifient en plusieurs petites rivières, le sol de la Hollande parait avoir été le théâtre d’une lutte entre la terre et les eaux. L’état actuel du pays, sorte de transaction entre les deux élémens, est évidemment la conséquence d’événemens curieux et de causes particulières. Ces événemens ne sont pas aussi anciens qu’on pourrait le croire. Quand la science veut remonter au berceau géologique des autres parties de l’Europe, elle est contrainte de s’adresser à des monumens sur l’interprétation desquels l’histoire est muette. Le génie humain poursuit à travers des ténèbres et des ruines le fil des événemens qui ont dû s’accomplir sur la terre dans un temps où l’homme, selon toute vraisemblance, était encore absent de la création. Ici, en Hollande, s’offre un spectacle plus singulier et plus nouveau : ces golfes, ces lacs, ces groupes d’îles, ces terrains d’alluvion qui constituent des provinces entières, l’homme les a vus naître ; il a vu depuis les temps historiques la bouche des fleuves se fermer sous le dépôt toujours croissant des sables ; il a vu la terre se convertir en eau et les mers intérieures se dessécher. Plusieurs des causes physiques auxquelles les naturalistes rapportent les très anciens changemens survenus dans l’économie du globe terrestre, — telles que les déluges, les vents, les marées, les mouvemens dans le niveau de la terre et de la mer, — sont restées, même depuis l’établissement des villes, en pleine activité sur le sol des Pays-Bas. Longtemps après que la structure du continent européen était plus ou moins arrêtée, la Hollande a commencé, a poursuivi, aujourd’hui même elle poursuit encore le cours de ses formations géographiques. L’histoire naturelle des variations du sol revêt donc ici un intérêt tout particulier. Cette histoire se lie aux destinées sociales du peuple qui habite les Pays-Pas ; c’est de la géologie d’hier et d’aujourd’hui, de la géologie en action, et même, à un certain point de vue, de la géologie politique. Jusqu’ici les voyageurs et les moralistes ont trop négligé de reconstruire le théâtre physique sur lequel les diverses civilisations de l’Europe sont venues s’établir. La date et la nature de ce théâtre, les conditions au milieu desquelles il s’est formé, ne sont pourtant pas étrangères aux faits essentiels de la nationalité. Les peuples sont ce que les influences extérieures des pays qu’ils habitent les déterminent à être, ce que les font l’eau, le ciel et la terre. La valeur de ces causes topographiques augmente encore, quand une nation se