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partie de la Moldavie jusqu’au Pruth, et la Russie n’a plus perdu celle frontière. Il affermissait à la paix sa suprématie en Pologne. En un mot, il a suivi la politique dont Pierre le Grand lui a légué l’héritage, et que ses successeurs ont recueillie en la pratiquant jusqu’au jour où elle s’est montrée assez menaçante pour mettre les armes dans les mains de l’Europe. C’est là ce qui résulte, sinon de l’histoire cosmopolite et philosophique, du moins de l’histoire réelle, qui vient jeter ses lueurs sur les luttes actuelles. Il faut ajouter, au surplus, que M. de Lamartine, malgré ses vues rétrospectives, ne conclut pas moins son Histoire de la Russie par la justification du droit de l’Occident.

Comment a commencé cette lutte nouvelle ? À n’examiner que le fait matériel et immédiat, on ne l’a point oublié, c’est dans les principautés danubiennes qu’elle a éclaté d’abord. C’est qu’en effet cette vallée du Danube, où s’est mêlée la poussière de tant de peuples, est le théâtre éternel où s’agitent les grandes questions d’indépendance pour l’Europe. C’est par cette issue que les invasions barbares se précipitèrent vers l’Occident ; c’est par le Danube que les Turcs menacèrent l’Europe et arrivèrent jusqu’à Vienne, où les arrêta l’épée de Sobieski ; c’est là encore que la Russie apparaît la dernière et la plus menaçante. Il s’ensuit que les annales des principautés danubiennes ont leur intérêt au point de vue même de la politique, et que leur histoire intérieure, dans son obscurité et ses confusions, garde comme un reflet des luttes, des migrations, des catastrophes qui se succèdent. C’est ce tableau que M. Elias Regnault cherche à reproduire dans son Histoire politique et sociale des principautés danubiennes. N’y a-t-il point un singulier problème moral et social dans l’existence de ces provinces, obstinées dans le culte de leur nationalité et condamnées cependant, par leur position, à servir de lieu de passage aux envahisseurs, menacées à chaque instant de devenir le prix de la conquête et réduites à vivre au milieu des dangers de toutes les dominations ? — C’est une colonie latine qui formait à l’origine sur le Danube le premier noyau de ces peuplades, devenues et restées la race roumaine. Surprises par les grandes invasions et foulées sous les pieds des chevaux des Barbares, ces populations ne périrent pas ; elles se dispersèrent dans leurs forêts, et quand elles reparurent, elles avaient conservé le génie de leur nationalité, leurs mœurs, leurs traditions, leur langue ; mais alors elles avaient affaire à d’autres ennemis : elles se trouvaient serrées de toutes parts, — entre les Hongrois, les Tartares, les Turcs qui grandissaient. Les populations de la Moldo-Valachie se tournèrent vers l’ennemi le plus redoutable pour se lier avec lui. De là ces capitulations avec les Turcs, qui sont réellement pour les provinces du Danube le fondement de leurs rapports avec l’empire ottoman et le principe de leur droit moderne. Le sultan s’engageait à protéger les provinces sans exiger autre chose qu’un droit de suzeraineté et un tribut ; il s’interdisait toute immixtion dans l’administration locale. L’élection du prince était laissée à la nation ; aucune mosquée ne devait exister en Valachie. Ce droit primitif et réel, toujours survivant et protestant, a été bien souvent violé sans doute : la barbarie turque a inondé ces contrées de sang, la rapacité des Osmanlis a pressuré les populations ; mais de l’excès même de cette misère naissait un autre danger, celui