Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La raison l’ignore, mais la raison éclairée par la foi peut l’entrevoir. Les conciles ont défini la création. Ils l’ont définie en trois mots : Dieu a fait l’univers de rien. Ces trois termes sacramentels, Dieu, l’univers, rien, ne se résument-ils pas dans notre formule algébrique ? L’infini est le symbole de Dieu ; zéro représente le rien, le néant ; le monde avec ses espaces indéfinis, ses êtres sans nombre, est fort bien représenté par le terme : une quantité quelconque. Quand donc le calcul prouve et démontre que zéro multiplié par l’infini égale une quantité quelconque, le calcul prouve et démontre le miracle de la création. Devant cette formule, le mathématicien ordinaire reste indifférent. Il a des yeux pour ne pas voir. Il ne saisit que la lettre ; l’esprit lui échappe. L’homme ignorant et superficiel secoue la tête et sourit ; mais l’algébriste philosophe, l’algébriste chrétien s’incline avec respect et tressaille d’une pieuse émotion.

Peut-être y a-t-il de la cruauté à troubler une émotion dont le principe est si respectable ; mais la vérité nous oblige d’avertir le père Gratry qu’il est dupe de la plus étrange illusion.

La formule où il voit tant de choses qui n’y sont pas renferme des vérités très simples qu’il est facile d’en dégager, surtout avec le secours de quelques hommes spéciaux, aussi habiles que complaisans. Considérons une série de fractions, celle-ci, par exemple : ½, ¼, 1/8, 1/16, etc. Ces signes arithmétiques veulent dire qu’une certaine unité étant donnée (la durée d’un jour, l’espace d’un kilomètre), on en considère des parties de plus en plus petites, le quart, le huitième, le seizième, et ainsi de suite. N’est-il pas clair qu’à mesure que vous continuez cette division, la fraction exprime une quantité plus petite ? Voilà, j’espère, une vérité bien simple. Eh bien ! concevez que le dénominateur de cette fraction continue ainsi de grandir, ce qu’on peut fort bien exprimer en disant qu’il tend à devenir infini, ne voyez-vous pas que, par une suite nécessaire, la fraction, exprimant une grandeur de plus en plus petite, tendra à devenir nulle, ou en d’autres termes s’approchera indéfiniment de zéro ?

Remarquez maintenant que cette conclusion est tout à fait indépendante de la grandeur exprimée par le numérateur. Que ce numérateur représente une minute, une heure, un jour, un siècle ; qu’il représente un kilomètre, un myriamètre, peu importe : il reste toujours vrai qu’étant donné une grandeur quelconque, pourvu qu’elle soit déterminée, si vous en prenez une fraction, cette fraction tendra à devenir nulle ou égale à zéro à mesure que vous diviserez la quantité en parties plus petites, c’est-à-dire à mesure que le nombre des parties où vous le diviserez deviendra plus grand, ou, en d’autres termes, tendra vers l’infini. Maintenant exprimez cette vérité en langage algébrique, et si vous appelez A une quantité quelconque, vous aurez la formule : A divisé par l’infini égale zéro.