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tante Blandine s’en allait dans les fermes voisines pour apprendre à lire aux petits enfans, donner des conseils aux grands parens, démêler les affaires embrouillées ou soigner les malades, car elle avait de merveilleux secrets de médecine pour toutes les infirmités ; elle savait couper les fièvres, elle rendait le lait aux nourrices qui avaient eu des frayeurs, elle avait des pommades rouges contre les trois sueurs et des élixirs verts contre l’apoplexie ; elle était surtout renommée pour son collyre contre les ophthalmies les plus rebelles, connu sous le nom d’eau de mademoiselle Blandine. Avec ses malades comme avec ses élèves, Mlle Blandine était d’une patience admirable. Elle leur parlait d’une voix douce, insinuante, caressante, et de retour dans son salon, après ses tournées, si les visiteurs ne lui déplaisaient pas, elle les accueillait très gracieusement quand ils évitaient de la contredire, surtout si c’étaient des étrangers, car elle aimait les nouvelles figures. — Voilà Mlle Blandine qui prend sa voix de médecin, murmurait le lieutenant. Ah ! s’ils étaient le matin à la Pioline ! Ma sœur est un diable déchaîné !

Et en effet les matinées de Mlle Blandine étaient des plus orageuses. Il n’y a pas de ménagère qui ne tienne sa besogne pour la plus lourde, la plus rude ; mais la tante Blandine, qui poussait tout à l’extrême, était convaincue qu’elle faisait des choses au-dessus des forces humaines. À l’en croire, elle portait un monde, et, dans ses momens de presse, de très bonne foi elle se trouvait plus malheureuse, plus accablée de soins, de soucis, de travaux, que les plus pauvres paysannes chargées de famille, écrasées d’ouvrage, toujours aux prises avec la misère, et seules, sans aides ni ressources, suffisant à tout dans leurs maisons désolées. Aussi quelles impatiences, quels troubles, quels désespoirs, quand elle se mettait à brasser son ouvrage du matin ! Cette besogne l’affolait ; elle s’y plaisait passionnément et s’y exaspérait. Fanatique d’ordre et désordonnée, elle attaquait tout à la fois, elle bousculait tout. Au saut du lit, elle courait à son travail de ménagère avec des inquiétudes, avec des cris et des trépignemens qui faisaient trembler les parquets et les cloisons. Malheur à qui se trouvait dans ses jambes, bêtes ou gens ! Tous ces battus criaient ou disputaient, et de sa voix aiguë la tante dominait encore tous ces cris. Le lieutenant, réveillé en sursaut, avait beau s’enfoncer la tête sous ses draps : si c’était l’heure de faire la chambre, au premier coup d’horloge il fallait se lever. Mais depuis que Mlle Blandine était à Valence, comme les choses étaient changées ! quel calme ! quel silence ! À la suite de la grande victoire remportée sur la Zounet, le lieutenant dormait en paix jusqu’à neuf heures, puis il fumait au lit jusqu’à dix, en écoutant le sergent Tistet qui lui lisait la gazette.