Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1098

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

branches), puis trois primiciers de la cathédrale, et je ne sais plus combien d’officiers dans la, marine depuis des temps infinis.

— Oh ! les Cazalis sont bons, très bons, c’est connu ; mais les Sendric ne sont pas non plus des étrangers, des parvenus. Ils remontent loin, savez-vous ? Depuis des siècles, ils sont fourniers de père en fils à Seyanne, et j’ai lu dans un vieux papier que leur maison fut bâtie du temps de la paroisse, bien avant le château. Avez-vous vu sur Leur porte la statue du grand saint Honoré ?

— Saint Honoré ? cet évêque qui enfourne du pain et des galettes, ce vieux santibelli[1] en pierre noire ? Oh ! quelle horreur ! je n’en donnerais pas un fifre. C’est bon à faire peur aux moineaux.

— Demoiselle Blandine, lisez sur le socle la date de 1483, et le nom des Sendric est au bas. Il y avait déjà des Sendric de ce temps-là. Vous savez qu’en 1562 le fournier Veran-Marcel Sendric a mené la paroisse de Seyanne au secours de Malaucène, assiégée par le baron des Adrets. Il y a une lettre du grand général Serbelloni, notre libérateur, qui parle de lui, car ce sont nos communes qui repoussèrent les Dauphinois, et Veran-Marcel avait vendu sa terre pour nourrir sa troupe. Lisez tout cela dans le récit de nos guerres par le père Justin, et si vous en voulez savoir plus long, demandez à Espérit, qui sait à fond l’histoire des familles…

— Cet Espérit ! cet Espérit ! dit la tante. Quelle tête virée, avec ses almanachs, ses tragédies ! Encore un qui est cause de tout le mal ! Cet Espérit !…

— Il ne s’agit pas d’Espérit, demoiselle Blandine. Vous me prouvez bien que les femmes ne brillent pas par la logique. Nous en sommes aux Sendric, et, pour en finir, sachez qu’ils ont eu quatre consuls depuis ce Véran-Marcel, et c’est un des leurs qui arma la jeunesse du pays en 1791 et la mena au camp de Sainte-Cécile, quand nos communes se levèrent pour l’indépendance du Comtat. Enfin c’est le fournier Siffrein-Marcel Sendric qui, pendant la grande famine du dernier siècle, ne voulut jamais élever ses prix, et la ruine de sa maison date de ce temps. Et c’est alors, mademoiselle Blandine, que votre aïeule acquit d’eux cette vigne de Saint-Pierre-de-Vassols que vous possédez encore, et qui donne de si bon vin. Depuis, les Sendric n’ont pu se relever. Maintenant vous savez leur histoire. Si ce n’est pas là une bonne famille, je ne m’y connais pas.

— Oh ! pour l’honneur, dit la tante, il n’y en a pas comme les Sendric ; Dieu me garde de le nier !

— Que vous faut-il de plus ? On arrondit son bien avec les bonnes terres du voisinage ; les Cazalis et les Sendric, c’est ce qu’il y a de

  1. Santibelli (beaux saints), cri des marchands italiens qui vendent des montagnes. Par extension, ce nom désigné en Provence toute espèce d’images ou de figurines.