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bien sans doute. Tout n’était point non plus orgueil espagnol, esprit de domination coupable et pure politique chez un Loyola, un Lainez et un Acquaviva. Oui, l’Espagne du XVIe siècle est bien une expression du sentiment et de l’idée du divin : cette expression fut anormale, inféconde, irrationnelle, et c’est pourquoi on a jusqu’à un certain point le droit de la méconnaître ; mais ce droit, n’appartient qu’au vulgaire ou aux sectaires. Or M. Kingsley ne fait point partie du vulgaire, et malgré ses sympathies trop exclusivement anglicanes, nous ne croyons pas qu’il fût très flatté d’être rangé parmi les sectaires. Le jugement de tout homme impartial et éclairé sur le catholicisme espagnol sera toujours celui-ci : forme bizarre et excentrique, substance mélangée, en somme représentation monstrueuse et exceptionnelle, mais bien réelle, de l’idée du divin.

Nous avons à peine le droit de lui adresser la seconde observation que nous avons à faire : nous lui reprochons d’être trop anglican, et c’est là un reproche dont il peut contester la valeur. Aussi ne parlons-nous de son anglicanisme qu’à un point de vue purement littéraire et par rapport à l’influence qu’il peut exercer sur son talent. Il nous semble qu’à mesure que les années s’écoulent, le sentiment premier qui animait les idées de M. Kingsley se modifie singulièrement ; il s’accuse de plus en plus sous une forme exclusive et jusqu’à un certain point intolérante. Celles M. Kingsley était un aussi bon anglican il y a quelques années qu’aujourd’hui, mais il l’était moins selon les règles, il croyait sans doute l’anglicanisme la meilleure forme que pût revêtir l’idée chrétienne, mais il savait mieux séparer l’idée chrétienne de la forme anglicane. Il n’a jamais poussé assez loin les tendances philosophiques pour comprendre l’idée religieuse comme distincte de l’idée chrétienne, mais il avait alors plus d’indulgence qu’aujourd’hui pour ceux qui faisaient cette distinction. L’église intérieure semblait le préoccuper beaucoup plus que l’église extérieure. De plus en plus cependant son anglicanisme s’est prononcé, de plus en plus l’idée chrétienne s’est identifiée dans son esprit avec la forme anglicane, et il en est arrivé à ne plus voir de salut pour l’Angleterre que dans un retour complet au credo anglican. C’est là l’esprit qui anime son dernier livre : non-seulement il reproche aux générations modernes de ne pas être religieuses, mais il leur reproche de ne pas être religieuses selon la forme adoptée par leurs ancêtres, laquelle était la seule vraie. L’église romaine, à l’entendre, ne vaut guère mieux que la négation de toute religion, et est beaucoup plus dangereuse. Le protestantisme dissident est une religion essentiellement individualiste, incapable de former une religion nationale. L’église romaine détruit toute nationalité et ne produit qu’une unité menteuse et fatale ; le protestantisme