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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1124

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les gentilshommes anglais du temps d’Elisabeth se rapprochaient en effet de cet idéal, qui est d’ailleurs celui de la nation anglaise tout entière, ils n’étaient pas une reproduction aussi exacte de ce type abstrait que le dit M. Kingsley. C’est l’unique reproche que nous ayons à faire à ses anglicans, et il a commis cette erreur par excès d’amour. Au contraire, les personnages qui lui tenaient moins au cœur sont fort bien posés ; les catholiques, les Espagnols, les dissidens, sont beaucoup mieux reproduits ; les nuances du caractère catholique en particulier ont été saisies avec une finesse sur laquelle nous reviendrons, car elle est fort extraordinaire, Bref, il n’y a pas dans le roman de personnages plus intéressans qu’Eustache Leigh le catholique, que don Guzman l’Espagnol et que Salvation Yeo le dissident.

Cependant, si les héros anglicans de M. Kingsley sont trop parfaits, ce n’est pas par excès de vertu molle et niaise, comme Grandisson et les héros de son époque. Ils sont trop parfaits dans le sens opposé, ils ont trop de virilité, ou, si l’on aime mieux, leur virilité, qui ne se dément jamais, est trop constante. Pour donner une idée de ces personnages, nous citerons le portrait que M. Kingsley fait du jeune Amyas Leigh. Le lecteur y trouvera, avec un noble spécimen de la nature humaine, une expression de l’idéal de l’homme ici que le comprend M. Kingsley, c’est-à-dire un homme sans pédantisme et sans hypocrisie, d’un cœur riche et chaud, d’une main solide, lisant la Bible, aimant les combats, plein de tendresse sans aucune sentimentalité, d’un commerce sûr, buvant volontiers un flacon de sherry avec ses amis et prenant plaisir à contempler un combat de coqs ou à forcer une bête fauve. C’est là en effet un idéal d’homme bien conçu, d’après une saine appréciation de la nature humaine, également éloigné de la barbarie et de l’extrême civilisation. Qu’Amyas Leigh ait eu ou non une nature aussi bien équilibrée (ce dont nous ne sommes pas aussi certain que M. Kingsley), il est salutaire de contempler une telle nature, comme il est salutaire de respirer les émanations des prairies et des bois.


« Quoique ce jeune gentilhomme, Amyas Leigh, fût sorti du meilleur sang du Devon et eût vécu toute sa vie dans ce que nous appellerions aujourd’hui la meilleure compagnie, quoiqu’il eût en lui valeur, courtoisie, et en un mot toutes les nobles qualités qu’il déploya plus tard dans sa vie aventureuse, et qui me l’ont fait choisir pour héros principal et centre de cette histoire, il n’était point, en dépit de son honnête physionomie, ce que nous appellerions par le temps qui court un jeune homme intéressant. Encore moins était-il un jeune homme instruit, car à l’exception d’un peu de latin qu’on lui avait fourré dans la tête à force de coups et comme avec un marteau, à l’exception de sa Bible, de son livre de prières, de la Mort