trésor de science indispensable qu’il soit possible d’imaginer. Qui entreprendra après lui de créer une œuvre si difficile, où il faudra faire la juste part des exigences du sujet, de la science de l’autour, et surtout du public ? On reprochait à un faiseur de systèmes politiques que ses lois ne conviendraient guère qu’à des hommes parfaits, et non aux hommes de nos sociétés actuelles. Il répondit : — Oh ! pour les hommes tels qu’ils sont, qui est-ce qui voudrait les gouverner ? — Beaucoup de nos écrivains de science semblent avoir désespéré d’instruire le public et s’être retranchés dans l’assertion de Copernic. On peut lire comme exemple le Système du Monde de Laplace, ouvrage tout mathématique, aux formules algébriques près, mais par compensation ou pensera aux écrits de Fontenelle, de Buffon et d’Arago.
En général on peut dire, relativement aux découvertes scientifiques, que la société ne remercie pas deux fois d’un présent qu’on lui fait. Il n’y a pas deux admirations successives pour un même ordre de travaux, même d’un grand mérite : tout est pour le premier. Ainsi, sans rappeler Christophe Colomb, lorsque Jacob Brett eut le premier fait passer des dépêches au travers du détroit qui sépare la France de l’Angleterre, on ne donna plus qu’une attention secondaire à des travaux bien plus étonnans. Notez bien que je dis que M. Jacob Brett fut le premier qui fit passer et non pas le premier qui imagina de faire passer des dépêches. Depuis lors, que de merveilles dans ce genre ! Le câble sous-marin de 600 kilomètres (150 lieues) a traversé et traverse encore la Mer-Noire, et nous apporte en trois ou quatre heures des nouvelles de la Crimée. Avec des communications électriques non interrompues, les dépêches ne mettraient pas plus d’une seconde pour faire ce trajet. J’ai en ce moment sous les yeux le beau sondage fait par la marine française entre la Sardaigne et l’Afrique, et avant peu M. John Brett, le frère de celui que j’ai nommé plus haut, fera communiquer la France et l’Algérie par la Corse et la Sardaigne. La plus grande distance n’est que le tiers de la distance qui sépare dans la Mer-Noire Balaclava de Varna. Quand les Américains voudront bien faire passer leurs câbles télégraphiques par le Labrador, le Groenland et les îles nord de l’Angleterre, ainsi que je l’ai demandé depuis longtemps dans la Revue, ils rattacheront infailliblement le nouveau monde à l’ancien, et de Paris à New-York, ville aujourd’hui d’un million deux cent mille habitans, on se parlera aussi vite qu’un astronome de Paris parle à un astronome de Londres, ou bien que deux interlocuteurs échangeant leurs idées dans un même salon. Eh bien ! essayez de faire admirer aujourd’hui au public le câble électrique de Balaclava, vous ne trouverez que des oreilles distraites. Un peu plus, un peu moins, c’est connu. Non bis in idem. Les inventeurs pourraient répéter, par rapport à la société actuelle, le mot prétendu d’Alexandre sur les dispensateurs de la gloire : « Ô Athéniens ! que de travaux je m’impose pour être loué par vous ! »
Je ne puis m’empêcher de faire ici un rapprochement de contraste entre les idées des anciens et les nôtres sur le rôle que les mers doivent jouer dans la civilisation du monde. Horace nous dit que Dieu, dans sa prudence, a séparé les terres par des océans qui les isolent, et que c’est une impiété que de monter sur des vaisseaux qui vont contre cette intention de la Divinité. Il en est autrement aujourd’hui, et c’est la mer et les ports qui rendent une