plus de la guerre comme d’une dure nécessité à laquelle la Turquie pouvait être contrainte pour le maintien d’un droit sacré (il s’agissait toujours de la question des réfugiés) ou la défense de son honneur, mais presque comme d’un événement heureux dont il fallait saisir l’opportunité, et qui devait affranchir l’empire ottoman d’une influence étrangère qui avait trop longtemps pesé sur lui. C’était le sujet favori des conversations d’Omer-Pacha, qui aimait à faire le dénombrement des forces dont la Porte pouvait disposer. Il comptait sur soixante-douze officiers supérieurs nouvellement acquis à l’islamisme, six mille soldats réfugiés, huit grands bâtimens à vapeur, quinze petits, quarante bâtimens à voile, cent vingt mille hommes de troupes régulières en Europe, quarante mille en Asie et autant de troupes irrégulières. Puis, parlant de la Russie, il disait : « Ses forces ne sont pas aussi formidables qu’on se l’imagine ; elle ne peut pas mettre plus de trois cent mille hommes sous les armes pour marcher contre nous, et nous pouvons en mettre deux cent cinquante mille sur pied, en comptant notre réserve. Nous avons d’ailleurs pour nous l’avantage du terrain. » Il ajoutait : « Mon plan, pour le cas où la guerre éclaterait, est fait, il a été communiqué à la Porte. Nous repasserions le Danube, parce qu’une province occupée par l’ennemi est une province prise ; mais les Russes seront bien vite obligés d’évacuer la Bulgarie, et nous pourrons alors reparaître dans les principautés. Les soldats turcs sont pleins d’ardeur, et il ne faut rien moins que la discipline la plus sévère pour les empêcher de se jeter sur les Russes. La population de Constantinople, qui donne l’impulsion à la Roumélie comme à l’Asie-Mineure, s’est prononcée pour la guerre, elle est prête à aider le gouvernement de ses bras et de sa bourse. Les officiers instruits, élevés en Europe, manquent beaucoup moins qu’on ne le croit ; d’ailleurs le corps des officiers russes est très faible. Le général Lüders, sous prétexte de ne pas savoir assez bien l’allemand, qu’il parle comme moi, a toujours refusé la conversation sur la guerre de Transylvanie. Nous n’avons rien à craindre des populations chrétiennes de la Roumélie. Les Serbes seuls sont agités, mais ils ne se lèveront pas. La guerre de Hongrie, dont les Russes sont si vains, n’est pas si honorable pour eux. La trahison de Gœrgey a fait leur victoire. Dès le mois d’avril, il était, par l’intermédiaire du comte Zichy, en relations avec le maréchal Paskievitch. »
À travers quelques exagérations, on conviendra qu’il y a dans ce fidèle résumé des sentimens d’Omer-Pacha des idées justes et quelques vues prophétiques à force de perspicacité. Bien souvent par malheur la passion et les préjugés aveuglaient le muchir de Roumélie. Ainsi il comptait surtout dans ses plans sur l’alliance active de la