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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1202

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la place de gouverneur. Les beys les plus puissans appuyèrent ces deux candidats, afin de mieux garder par la suite leur influence dans le pays. Tout en excitant sous main les chefs insurgés (Méhémed-Riditch et Ali-Keditch), ils ne doutaient nullement du maintien de l’ancien système. Telle était la situation de la province où Omer-Pacha allait avoir à exercer les fonctions de commandant militaire.

Omer-Pacha ne connaissait pas encore ses troupes, à l’exception de deux bataillons ; il avait sous ses ordres des régimens dont il ne savait que le nom, et qu’il n’avait jamais commandés en personne. Il chercha à les connaître en avançant lentement. Il fit bientôt la triste expérience que ces soldats avaient été négligés et commandés jusqu’alors par des officiers incapables et surtout peu habitués à la discipline. Le corps d’officiers supérieurs était composé d’hommes qui dans un conseil de guerre osèrent prétendre qu’il « ne fallait pas prendre au sérieux l’ordre du sultan de transformer tous les habitans des provinces en giaours, que Dieu et le prophète ne favoriseraient pas une pareille entreprise, que les Bosniaques étaient très belliqueux, et qu’il y avait peu d’espérance de voir une fin glorieuse à la lutte qu’on allait tenter. » Comment compter, avec de pareils officiers, sur le succès d’une expédition ? Mais Omer-Pacha arrêta ses plans de manière à laisser dans l’inaction, lors des rencontres importantes, ceux des officiers supérieurs qui lui paraissaient le plus suspects, et il chercha à gagner les soldats et les sous-officiers en leur parlant d’avancement et de butin.

Avant d’arriver à la frontière de la Bosnie, Omer-Pacha accueillit avec une satisfaction dédaigneuse les hommages des beys bosniaques venus à sa rencontre pour le recevoir et le complimenter, d’après un ancien usage, en sa qualité de haut fonctionnaire de la Porte. Cette cérémonie rappelle encore les vieilles mœurs de l’Orient. Les génuflexions, le baisement des pieds et des robes, les protestations de la plus complète soumission aux ordres de la Porte, présentent un spectacle intéressant pour qui sait y discerner ce mélange de politesse et d’humilité, de dissimulation et de dignité qui compose le caractère oriental. Omer-Pacha, né et élevé parmi les Croates, qui d’ailleurs était allié par le sang et le caractère à la race serbe et illyrienne, ne tarda pas à pénétrer les intentions de ces chefs et à découvrir les diverses nuances de chaque parti. Il donna en secret des espérances à chacun d’eux, et, comptant par ce moyen se rendre la tâche facile, il employa largement la corruption, fit aux uns des promesses d’emplois lucratifs, laissa entrevoir aux autres les biens de l’état comme pouvant bientôt leur appartenir. À l’aide de ces artifices, dont l’usage n’a pas été moins fréquent en Occident qu’en Orient, il forma un réseau d’espions, et en