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quelques localités des Pays-Bas, les habitans se chauffent avec ce bois enfoui rendu à la lumière[1]. On trouve ces arbres conservés pour ainsi dire à l’état de momies dans la substance bitumineuse. Quelques voyageurs racontent que les fils dégénérés de l’ancienne Égypte brûlent dans le désert les cadavres embaumés de leurs ancêtres pour préparer les alimens ; les paysans hollandais livrent de même aux flammes les ancêtres du sol, ces chênes, ces hêtres, ces sapins, habitans primitifs de la Néerlande, et que l’occupation de l’homme a chassés. Ces arbres sont toujours au fond de la tourbe : ils reposent le plus souvent sur le sable, d’où leurs branches s’élèvent plus ou moins dans la masse tourbeuse. La présence de ces arbres indique bien l’existence d’une ancienne forêt ; mais il reste à découvrir la nature de l’événement qui les a abattus et précipités au fond du sol marécageux. Les uns attribuent ce désastre de la végétation à un incendie[2], les autres à un déluge, à un tremblement de terre ou à toute autre convulsion de la nature. L’imagination des géologues a beaucoup trop abusé de ces causes violentes et perturbatrices. Il est facile d’expliquer la présence de ces arbres au fond des tourbières par des phénomènes plus simples et plus conformes à ce qui se passe encore sous nos yeux : ils ont été renversés par le vent. Les exemples de tels ravages ne sont pas rares aujourd’hui en Hollande. Dans ce terrain plus ou moins tourbeux, les arbres étendent plutôt leurs racines qu’ils ne les enfoncent, d’où il résulte qu’ils ne prennent guère pied sur le sol. On ne saurait croire en effet avec quelle facilité ils se renversent. J’ai rencontré très souvent sur les routes de grands arbres soutenus par des tuteurs comme par des béquilles. Les propriétaires, qui connaissent la nature de leurs élèves, croient cette précaution nécessaire pour les défendre d’une chute. Les arbres les plus forts et les mieux enracinés ne résisteraient pas d’ailleurs à l’impétuosité des vents qui soufflent de la mer. Des ouragans qui balaient les églises par le milieu n’épargnent point les chênes[3].

  1. On a trouvé sous la tourbe des forêts entières : on pouvait encore reconnaître les couches de feuilles qui étaient tombées d’année en année. La plupart des troncs ils étaient renversés, d’autres se tenaient encore debout avec leurs racines, leurs feuilles et leurs fruits, il n’y avait donc pas moyen de douter que ces arbres n’eussent végété sur place.
  2. Ce qui a donné l’idée que ces arbres avaient été détruits par le feu, c’est qu’ils sont noircis ; mais le séjour dans la terre humide communique au bois cet aspect légèrement carbonisé. Le foin coupé et laissé sur la terre fermente au bout de quelques jours de pluie, les couches inférieures revêtent un aspect noirâtre, comme si le feu y avait passé. Il faut chercher dans ces faits vulgaires l’explication des grands phénomènes de la nature : toute décomposition végétale engendre de la chaleur.
  3. La nef de l’église du Dôme à Utrecht fut enlevée en 1674 par une tempête. On comprend la force des agens les plus simples de la nature quand on voit cette église coupée en deux, la tour d’un côté, le chœur de l’autre, au milieu le vide. Les habitans de La Haye se souviennent d’avoir va en 1836 les arbres séculaires d’une des places de cette ville s’abattre dans leur chute et déraciner les pavés. C’était la lutte du ciel Contre les titans du règne végétal.