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voguant comme des radeaux et ravageant tout devant elles, que dans certaines provinces des Pays-Bas les paysans retenaient leur champ avec des bandes et des lanières de terre, comme on lie d’une courroie le cou d’un animal dangereux. L’existence de ces tourbières flottantes donna lieu à une curieuse industrie. Dans les temps anciens, on ne se donnait pas toujours la peine d’extraire la tourbe sur place : des hommes avides se contentaient quelquefois de dépecer à coups de hache ou de bûche le champ qui contenait des globes bitumineuses, puis ils attendaient un vent favorable. Quand ce vent soufflait, ils attachaient à la poupe de leurs bâtimens ces grands lambeaux de tourbe qui nageaient à la surface de l’eau, et les transportaient dans diverses contrées. Cette manœuvre fut défendue, parce que le choc de ces masses flottantes menaçait de briser les rives et d’emporter les habitations.

Nous venons d’exposer l’histoire de la formation des tourbières hautes et des tourbières basses ; mais cette constitution originelle des faits a été remaniée, bouleversée par d’autres agens de la nature. Les incendies de forêts, les débordemens de fleuves, les invasions et les mouvemens de la mer ont exercé, dans le cours des siècles, des changemens qui ont laissé des traces.

Le Rhin a longtemps cherché et plusieurs fois perdu son embouchure. C’est un fait attesté dans les Pays-Bas par la présence des terrains d’alluvion. Quand le cours des eaux était rapide, d’anciennes tourbières hautes ont été emportées, charriées à distance du lieu de leur formation, converties en tourbières basses. Dans les endroits au contraire où le fleuve voyageur, au cours lent et paresseux, traînait, pour ainsi dire, ses eaux, les tourbières basses ont été revêtues d’une couche d’argile[1]. Enfin la mer n’est pas demeurée tranquille. Les tourbières de la Zélande ont été autrefois couvertes par les vagues. Les habitans de ces îles ont longtemps extrait du sel des cendres de la tourbe ; ils ne renoncèrent à une telle industrie, source de grandes richesses, que dans les derniers siècles, où cet objet de commerce fut apporté de l’Espagne et de la France à vil prix. Dans les dunes de la Hollande, j’ai rencontré plus d’une fois, sous le sable, des champs de tourbe que la culture mettait à nu, et dont on retirait des troncs d’arbres presque tout entiers. Ces tourbières des dunes se prolongent très avant sous la mer. Quiconque se promène le long des côtes peut ramasser, presque à chaque pas, des rouleaux de tourbe à divers états

  1. Dans l’île d’Ode, au milieu du Zuiderzee, en trouve des tourbières voilées par une semblable couche d’argile, l’analyse microscopique a découvert dans cette terre limoneuse des infusoires d’eau douce. On est donc fondé à reconnaître ici l’ancien lit de l’Yssel, une branche du Rhin, qui coulait autrefois dans l’emplacement occupé maintenant par le Zuiderzée. L’île actuelle se trouvait dans la direction de ce lit.