Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

siècle le dernier loup et le dernier sanglier. En 1851, à une profondeur de neuf pieds, on déterra dans la province de Groningue les restes d’un daim : cette espèce sauvage s’est effacée avec l’existence même des anciennes forêts qui lui servaient de retraite. Au point de vue des changemens survenus dans la distribution géographique des êtres, les fouilles de la tourbe et du terrain d’alluvion deviennent de jour en jour aussi intéressantes que les fouilles des anciens terrains. Il est curieux de connaître les races d’animaux que la civilisation éteint. Ces ossemens constituent des fossiles relatifs qui jettent une lumière nouvelle sur l’histoire de la vie organique à la surface de notre globe. L’extinction des espèces vivantes n’est pas un fait limité à l’ancien monde ; c’est un fait qui rentre dans l’économie générale et permanente de la nature. Les animaux géographiquement perdus vont rejoindre en Hollande et ailleurs les générations de mastodontes et de mammouths qui dorment dans l’épaisseur des couches antédiluviennes.

Un fait qui caractérise la faune des tourbières et qui la sépare d’un ordre de choses plus ancien, c’est la présence de l’homme. Du côté de Veeneendaal, il a été trouvé un vieux Germain habillé d’une peau de bœuf. Dans la Frise occidentale, on a également découvert un cavalier avec son cheval. On ne retrouve pas seulement l’homme dans les tourbières : les ouvrages de l’homme, les objets d’art, les monumens primitifs de l’industrie s’y montrent de temps en temps. Ces fossiles historiques consistent en anneaux, médailles, bracelets, instrumens de travail, vases de terre, fragmens d’armes. Il y a quelques années, dans une des tourbières de Manekensweered, près de Nieuport, apparut un navire chargé de meules de moulins à bras, enfoncé dans la tourbe d’environ cinq pieds, et s’élevant d’autant dans la glaise qui le recouvrait. La plupart de ces meules ont servi à paver la cour de la ferme voisine de cette tourbière : mais les plus lourdes et les plus profondes restèrent dans le navire, qu’on ensevelit de nouveau avec de la terre. On a découvert également près d’Ardres un bateau chargé de grains[1]. Le musée de la ville de Zwol nous offre une particularité d’un autre genre : c’est un chapeau germain en feutre noir, trouvé à cinq pieds dans la tourbe, non loin de Zuid-Broek. Entre Valthe et Emmen, dans la province de Drenthe, s’étend sous les tourbières un pont en bois de deux lieues et demie de longueur. Une tradition, fort contestable d’ailleurs, veut que l’armée de Varus passait par là. Tacite parle de ces ponts de bois,

  1. Ces deux bateaux paraissaient avoir été brûlés ; mais cette couleur noire et ces traces d’incendie s’expliquent par le séjour dans la terre tourbeuse.