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terrains, qui ont minéralisé la vie végétale, continuent d’agir sous nos yeux dans le poème actuel de la nature. Les lois du monde physique n’ont pas plus changé depuis l’origine des choses que les lois du monde moral depuis l’établissement des sociétés.

La masse de tourbe qui existait autrefois en Hollande a dû être considérable : non-seulement les habitans n’ont pas eu d’autre moyen de chauffage depuis des siècles, mais, non contens de brûler chez eux cette matière combustible, ils l’ont encore exportée sur des vaisseaux et vendue aux nations étrangères. C’est pourtant une opinion ancienne dans les Pays-Bas, que le jour viendra où la tourbe commencera à manquer ; ce jour ne parait pas maintenant très éloigné. Il n’y a plus de tourbe, dit-on, dans les tourbières de la Hollande que pour un siècle. Quand la science parle de quatre mille ans avant d’épuiser les houillères, on peut se confier en la Providence, d’autant que toutes les mines de houille ne sont point encore découvertes ; mais cent ans, c’est demain dans la vie des peuples. Les générations vivantes ont malheureusement peu de prévoyance pour les générations qui doivent naître. Cette charité, qui s’étend sur l’avenir, a été méconnue dans les anciens temps, où l’on n’a point assez ménagé les tourbières. Déjà quelques économistes se prennent à regretter que l’on ait détruit les forêts, et proposent de replanter des arbres dans les terres incultes. L’expérience démontre que la matière formée de détritus végétaux s’amasse avec les années ; cette matière a même paru renaître après un temps de repos dans d’anciennes tourbières exploitées dont on n’avait pas détruit les moyens de réparation naturelle. En présence de ces faits, on s’est demandé si, en vue de la disette prochaine du combustible national, il ne conviendrait pas de provoquer la croissance artificielle de la tourbe. Par malheur cette croissance est trop lente. La culture de la tourbe intéresse à plus d’un titre l’histoire naturelle ; mais c’est un fait dont l’économie politique ne saurait tirer nul parti sérieux.

Si la tourbe venait à manquer, quelque chose du caractère national s’en irait avec elle. La tourbe a été célébrée en Hollande par les poètes. L’usage de ce combustible a donné lieu, dans le langage populaire, à une foule de proverbes et de locutions qui demeurent[1]. Il n’y a pas jusqu’aux idées religieuses, inhérentes au caractère hollandais,

  1. On dit de quelqu’un qui a su par sa prévoyance acquérir du bien : « Il a fait sa provision de tourbe pour l’hiver, hy heeft al welsturft » expression qui correspond à celle-ci : « Il a du pain sur la planche. » Les Hollandais ont encore coutume de designer un bon père de famille qui fait tout en son temps par l’expression suivante : Het beroude noyt man, die turf de voor St. Johan, c’est-à-dire un homme qui a rempli son grenier de tourbe avant la Saint-Jean (24 juin), — l’époque de l’année où les tourbes se vendent ordinairement le meilleur marché.