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éveillent dans l’esprit une foule d’idées et d’impressions, connue pourrait le faire le plus sombre et le plus funèbre roman.

Faut-il attendre de l’exposition quelque préservatif contre ces catastrophes ? En est-il parmi ces locomotives, si bien peintes, si coquettes, si luisantes de tout point, qui aient pour objet de témoigner quelque souci de la vie humaine ? Ou bien sont-ce toujours ces mêmes implacables machines qui, hier encore, broyaient vingt malheureux conducteurs de bestiaux ? Y a-t-il là quelque manufacturier qui ait cédé à une bonne inspiration, et au risque de se tromper, de jeter un peu d’or dans une aventure, ait essayé de construire un appareil moins brutal, moins aveugle, plus docile à la main de son guide, et qui, au milieu de la civilisation la plus raffinée, ne reproduise pas la barbarie sous une autre forme ? S’il y en avait un, comme on l’applaudirait ! comme on l’encouragerait dans ses hardiesses et comme on excuserait ses erreurs ! Hélas ! non, il n’y en a point ; les constructeurs ont des modèles, et ils s’y tiennent : à peine s’en écartent-ils en quelques détails et tout juste assez pour se disputer l’un à l’autre la grande médaille d’honneur, par exemple le diamètre d’une roue, un tender supprimé, un dôme de plus ou de moins. Leur audace ne va pas au-delà ; elle n’exige ni effort d’esprit ni dépense de caisse. Leurs locomotives restent les dignes sœurs de celles qui ont l’empire de la circulation et s’y signalent de loin en loin par des exécutions sommaires. Les mouvemens sont précis, les pièces bien ajustées, les cuivres polis, les vitesses satisfaisantes ; que demander de plus ?

Trois exposans de locomotives ont obtenu la médaille de premier ordre : M. Borsig, M. Engerth et M. Cail. — M. Cail n’a pas de nouveau modèle : il s’est contenté d’exposer des machines régulièrement construites et d’une exécution satisfaisante. Il n’y a à insister que sur les locomotives de M. Borsig et de M. Engerth. Celle de M. Borsig réunit également les conditions que l’on doit attendre d’un bon atelier ; la forgerie est traitée avec soin et la délicatesse des organes plaît à l’œil ; peut-être pourrait-on y exiger plus de force et une meilleure entente dans l’emploi de la matière ; les pièces coudées n’ont point paru aux hommes du métier présenter de bonnes conditions de résistance ; quelques organes sont faibles, et peu en rapport avec les services qu’ils doivent rendre ; il y a défaut d’harmonie et de proportions. Un autre détail a prêté à la critique : c’est le dôme de prise de vapeur qui couvre la chaudière. M. Borsig doit savoir que c’est là un accessoire depuis longtemps abandonné. On y attachait de l’importance dans l’enfance de la construction ; aujourd’hui, et après bien des essais, on n’y saurait voir qu’une superfétation et un embarras. M. Engerth s’est proposé un autre but : le caractère