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« — Très bien, la carrosserie n’en est pas moins un commerce, et beaucoup moins utile, je pense, que celui des bouchers et des boulangers. Oh! comme ces promenades en voiture chez la tante Shaw me fatiguaient et comme j’avais envie d’aller à pied! »


C’est cependant cette jeune fille si dédaigneuse qui sera le trait d’union entre le nord et le sud. Ces marchands qu’elle abhorre, ce peuple qu’elle redoute, elle apprendra à les aimer, lorsqu’elle aura reconnu sous leur rude enveloppe plus d’un noble cœur : tout mal vient d’ignorance.

La famille quitte le sud; nouveaux visages, nouvelles scènes. Adieu aux villages du Hampshire, aux cottages enveloppés de brume ou reluisant de soleil, aux campagnes paisibles! À mesure qu’on avance, tout change d’aspect. Les charrettes qui se croisent sur la route ont plus de fer que de bois et de cuir, les hommes ont un aspect plus affairé : habitations, costumes, instrumens, tout indique un but d’utilité pratique et direct, tout est calculé et proportionné selon ce but, tout a un air purpose like. Les boutiquiers ne flânent pas sur le seuil de leur boutique, attendant la pratique; ils travaillent portes closes, roulant et déroulant des marchandises, sans but apparent, et, dirait-on, pour s’occuper seulement. A quelques milles de Milton, le ciel se couvre d’un épais nuage gris; un orage se prépare sans doute. On approche, ce nuage n’est rien que la fumée des usines qui sort à flots épais des cheminées et des fourneaux. On avance lentement dans les rues encombrées de chariots et de véhicules, tous employés à une seule fin : porter des matières premières à la manufacture, emporter des marchandises des magasins. L’intérieur des demeures est riche, même somptueux; mais tout y témoigne de l’opulence plutôt que du bon goût des habitans. On dirait des gens du commun logés dans des appartenons récemment ornés et meublés en toute hâte pour la visite passagère de quelque somptueux nabab. Quant aux mœurs du peuple, elles sont un perpétuel sujet d’étonnement pour la famille, y compris la servante, la fidèle et dévouée Dixon. Dans le Hampshire, M. Hale était traité par ses paroissiens avec tout le respect dû à son ministère; ici, on ne lui paie qu’un respect proportionné à l’argent qu’il peut donner. Rien n’égale la curiosité de tous les boutiquiers, fournisseurs, manœuvres, inférieurs de tout genre et de tout degré relativement aux revenus de leurs pratiques et de leurs maîtres.

Combien peut-il dépenser? telle est l’unique règle que le peuple a à sa disposition pour mesurer le mérite des hommes. Les relations y sont fondées non sur la hiérarchie des fonctions, mais sur une base d’économie politique. Marguerite a besoin d’une servante pour aider miss Dixon et la soulager un peu; elle ne la trouve point sans de