Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paraissait sans appui à la cour et en France, tandis qu’elle se sentait portée par tout ce qu’il y avait d’illustre, de puissant, d’accrédité. Tous ces calculs semblaient certains, toutes ces espérances parfaitement fondées, et Mme de Chevreuse quitta Bruxelles dans la ferme persuasion qu’elle allait rentrer au Louvre en conquérante. Elle se trompait : la reine était changée ou bien près de l’être.

Si le temps est venu de remettre Louis XIII à la place qui lui appartient dans l’histoire, il est juste aussi de relever Anne d’Autriche. Ce n’était pas une personne ordinaire. Belle, ayant besoin d’être aimée, et en même temps vaine et fière, elle avait été blessée des froideurs et des négligences de son mari, et, par esprit de vengeance et aussi de coquetterie, elle s’était complu à faire autour d’elle plus d’une passion, sans franchir jamais les bornes d’une galanterie espagnole plus ou moins vive. Elle avait supporté impatiemment d’être traitée sans conséquence, privée de tout crédit et tenue en une sorte de disgrâce permanente par le roi et par Richelieu ; de là une opposition sourde, mais constante, au gouvernement du cardinal. Elle s’était même engagée dans diverses entreprises qui, comme nous l’avons vu, lui avaient fort mal réussi et l’avaient jetée en d’assez grands dangers. Elle appelait alors à son aide une autre de ses qualités de femme et d’Espagnole, la dissimulation. Le malheur lui avait enseigné vite « cette laide, mais nécessaire vertu, » comme dit Mme de Motteville, et on a pu reconnaître qu’elle y avait fait de rapides progrès. Naturellement paresseuse, elle n’aimait pas les affaires, mais elle était sensée, même courageuse, capable d’entendre et de suivre la raison. Jusque-là elle avait joué un double jeu : se faire en secret des partisans, encourager et pousser les mécontens, tâcher d’échapper au joug du cardinal, et cependant lui faire bonne mine, l’endormir par de fausses démonstrations, s’humilier au besoin, gagner du temps et attendre. Depuis la mort de Richelieu, se sentant plus forte et de ses deux enfans et de la maladie irrémédiable de Louis XIII, elle n’avait eu qu’un seul but, auquel elle avait tout sacrifié : être régente, et elle y était parvenue, grâce à une rare patience, à des ménagemens infinis, à une conduite habile et soutenue, grâce aussi au service inespéré que lui rendit Mazarin, le principal ministre du roi. Anne n’avait rien négligé pour désarmer les ressentimens de son mari ; elle n’avait cessé de l’entourer de soins, passant les jours et les nuits auprès de lui ; elle lui avait protesté avec larmes qu’elle ne lui avait jamais manqué, qu’elle était étrangère au complot de Chalais, et que toutes les accusations dont on l’avait chargée étaient sans fondement. Elle avait fort peu gagné sur l’esprit du roi ; il s’était contenté de dire : « Dans l’état où je suis, je dois lui pardonner, mais je ne suis pas obligé de la