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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1337

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une grande capacité, il fallut lui donner un nouvel auxiliaire quand le comte d’Avaux, avec lequel il partageait les finances, s’en alla à Munster. Mme de Chevreuse insinua à la reine qu’elle pouvait bien introduire Châteauneuf dans le conseil en lui donnant la succession de d’Avaux, emploi modeste qui ne pouvait faire ombrage à Mazarin ; mais celui-ci comprit la manœuvre et la déjoua[1]. Il persuada assez aisément à la reine de maintenir Bailleul, qui était chancelier de sa maison et qu’elle aimait, en mettant, auprès de lui, comme contrôleur général, d’Hemery, qui plus tard le remplaça entièrement.

En même temps qu’elle travaillait à tirer de disgrâce l’homme sur qui reposaient toutes ses espérances politiques, l’habile duchesse, n’osant pas attaquer directement Mazarin, minait insensiblement le terrain autour de lui et préparait sa ruine. Son œil exercé lui fit aisément reconnaître quel était le point d’attaque le plus favorable dans l’assaut qu’il s’agissait de livrer à la reine, et le mot d’ordre qu’elle donna fut d’entretenir et de porter à son comble le sentiment général de réprobation que tous les proscrits, en rentrant en France, soulevaient et répandaient contre la mémoire de Richelieu. Ce sentiment était partout, dans les grandes familles décimées ou dépouillées, dans l’église trop fermement conduite pour ne s’être pas crue opprimée, dans les parlemens réduits à leur rôle judiciaire et qui aspiraient à en sortir ; il était vivant encore dans le cœur de la reine, qui ne pouvait avoir oublié les profondes humiliations que Richelieu lui avait fait subir et le sort que peut-être il lui réservait. Cette tactique réussit, et de toutes parts il s’éleva sur les violences, la tyrannie et par contre-coup sûr les créatures de Richelieu une tempête que Mazarin eut bien de la peine à conjurer.

Ainsi Mme de Chevreuse supplia la reine de réparer les longs malheurs des Vendôme en leur donnant ou l’amirauté, à laquelle était attaché un pouvoir immense, ou le gouvernement de Bretagne, que le chef de la famille, César de Vendôme, avait autrefois occupé, qu’il tenait de la main de son père Henri IV, et aussi de l’héritage de son beau-père, le duc de Mercœur. C’était à la fois demander l’élévation d’une maison amie et la ruine des deux familles qui avaient le plus servi Richelieu et pouvaient le mieux soutenir Mazarin. Le maréchal de La Meilleraie, grand-maître de l’artillerie et nouvellement investi du gouvernement de Bretagne, était un homme de guerre plein d’autorité et en possession de plusieurs régimens. Le duc de Brézé, beau-frère de Richelieu, était aussi maréchal, gouverneur d’une grande province, l’Anjou, et son fils, Armand de Brézé, alors à la

  1. Carnets autographes de Mazarin, conservés à la Bibliothèque nationale, armoire de Baluze, IIe carnet, p. 16.