Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intimes, il montre une extrême inquiétude. La dissimulation dont tout le monde accusait la reine l’épouvante lui-même, et on le voit passer par toutes les alternatives de la crainte et de l’espérance. Il est curieux de saisir et de suivre tous les mouvemens contraires de son âme. Dans ses lettres officielles aux ambassadeurs et aux généraux[1], il affecte une sécurité qu’il n’a point. Avec ses amis particuliers, il laisse échapper quelque chose de ses perplexités douloureuses ; elles paraissent à nu dans ses carnets. On y voit ses troubles intérieurs et ses instances passionnées pour que la reine se déclare. Il feint avec elle le plus entier désintéressement : il ne demande qu’à faire place à Châteauneuf, si elle a pour Châteauneuf quelque secrète préférence. La conduite ambiguë d’Anne d’Autriche le désole, et il la conjure ou de lui permettre de se retirer, ou de se prononcer fermement pour lui.

Rien n’était changé à la fin de juillet et dans les premiers jours du mois d’août 1643, ou plutôt tout s’était aggravé ; la violence des Importans croissait chaque jour ; la reine défendait son ministre, mais elle ménageait aussi ses ennemis ; elle hésitait à prendre l’attitude décidée que lui demandait Mazarin, non-seulement dans son intérêt particulier, mais dans celui du gouvernement. Tout à coup un incident, fort insignifiant en apparence, mais qui grandit peu à peu, précipita la crise inévitable, força la reine à se déclarer et Mme de Chevreuse à s’enfoncer davantage dans l’entreprise funeste qui déjà était entrée dans sa pensée : nous voulons parler de la querelle de Mme de Montbazon et de Mme de Longueville.

Nous avons autrefois, ici même[2], raconté en détail cette querelle, et l’on connaît l’une et l’autre dame. Rappelons seulement que la duchesse de Montbazon, par son mariage avec le père de Mme de Chevreuse, se trouvait sa belle-mère, quoiqu’elle fût plus jeune qu’elle, que le duc de Beaufort lui était publiquement une sorte de cavalier servant, que le duc de Guise lui faisait une cour très bien accueillie, et qu’ainsi de tous côtés elle appartenait aux Importans. Parmi ses nombreux amans, elle avait compté le duc de Longueville, qu’elle aurait bien voulu retenir, et qui venait de lui échapper en épousant Mlle de Bourbon. Ce mariage avait fort irrité la vaine et intéressée duchesse ; elle détestait Mme de Longueville, et saisit avec une ardeur aveugle l’occasion qui se présenta d’essayer de porter le trouble dans le nouveau ménage. Un soir, dans son salon de la rue de Béthizy, elle ramassa une ou deux lettres écrites par une femme, qu’un imprudent venait de laisser tomber. Elle en amusa toute la

  1. Voyez la précieuse collection de lettres italiennes et françaises de Mazarin, 5 vol. in-folio, provenant de Colbert, qui sont aujourd’hui à la bibliothèque Mazarine.
  2. Revue des Deux Mondes, livraison du 15 juillet 1852.