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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1349

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Le blesser dans une sœur qu’il adorait, le mettre contre soi sans aucune nécessité et hâter son retour était une vraie extravagance ; aussi La Rochefoucauld, La Châtre, Alexandre Campion et tout ce qu’il y avait d’un peu sensé parmi les Importans s’étaient empressés d’apaiser et de terminer cette déplorable affaire, et Mme de Chevreuse, attentive à faire sa cour à la reine, en même temps qu’elle conspirait contre son ministre, lui avait préparé chez Renard une petite fête, destinée à dissiper les derniers effets de ce qui s’était passé ; mais toute sa politique avait échoué devant la sotte fierté d’une femme sans esprit comme sans cœur.

Cependant Mazarin avait mis à profit les fautes de ses ennemis. D’assez bonne heure il avait vu avec joie et il avait accru avec art l’inimitié des maisons de Condé et de Vendôme. À mesure que les Vendôme se déclaraient plus ouvertement contre lui, il ménageait d’autant plus les Condé. Il s’était posé à lui-même cette question : Que faudra-t-il faire si les Vendôme et les Condé en viennent à un éclat, bien entendu en supposant que l’intérêt de l’état ne soit pas engagé dans leur querelle ? La question avait été fort aisément résolue, car l’intérêt de l’état et celui du cardinal s’étaient réunis pour le jeter du côté des Condé. Pendant que Mme de Montbazon et Beaufort faisaient cette insulte à Mme de Longueville, on apprenait à Paris que le vainqueur de Rocroy venait de terminer le siège difficile de Thionville et d’ouvrir à la France une des portes de l’Allemagne. L’épée du jeune duc semblait porter partout la victoire avec elle. Le marquis de Gèvres, qui donnait de si grandes espérances, avait été tué ; Gassion était grièvement blessé ; Turenne et Praslin étaient occupés en Italie ; Guébriant, serré de près par Mercy, venait de repasser le Rhin. Le duc d’Enghien, avec son audace et sa popularité toujours croissante, pouvait seul exercer assez d’ascendant sur l’armée pour la ramener en Allemagne, et dissiper l’épouvante qu’avait laissée le souvenir de la défaite de Nortlingen. Dans le conseil, M. le Prince prêtait à Mazarin un appui intéressé et incertain, mais nécessaire et utile. Mme la Princesse était la meilleure amie de la reine ; elle était déclarée pour le cardinal et contre son rival Châteauneuf. Servir les Condé, c’était donc servir l’état et se servir lui-même. Le choix de Mazarin ne pouvait pas être douteux, et, loin d’apaiser la reine, il l’anima.

Dans cette critique circonstance, que restait-il à faire à Mme de Chevreuse ? Elle s’était efforcée de contenir Mme de Montbazon, mais elle ne pouvait l’abandonner ni s’abandonner elle-même. Elle résolut donc de suivre avec énergie le tragique projet devenu la dernière espérance, la suprême ressource du parti. Déjà elle avait ouvert l’avis de se défaire de Mazarin. Par Mme de Montbazon, elle avait entraîné Beaufort. Celui-ci avait rassemblé les hommes d’action dont