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s’ouvrait sous les plus brillans auspices. Et en même temps le ministre auquel la reine devait tant, au lieu de s’imposer à elle et de prétendre à la gouverner, était à ses pieds et lui prodiguait des soins, des respects, des tendresses qu’elle n’avait jamais connus. Loin qu’il lui parût ressembler à l’impérieux et triste Richelieu, elle pouvait se rappeler avec une émotion agréable les paroles de Louis XIII, lorsque pour la première fois il lui présenta Mazarin, en 1639 ou 1630 : « Il vous plaira, madame, parce qu’il ressemble à Buckingham. » Mais c’était Buckingham avec un bien autre génie. Elle dut frémir quand Mazarin mit sous ses yeux tous les indices de l’odieuse entreprise formée contre lui. Il y eut là entre eux de suprêmes explications. Plus que jamais il dut la presser de lever le masque, de sacrifier à une nécessité manifeste les ménagemens qu’elle s’étudiait à garder, de braver un peu plus les discours de quelques dévots et de quelques dévotes, et de lui permettre enfin de défendre sa vie. Jusque-là Anne d’Autriche hésitait par des raisons qui se comprennent. L’insolence de Mme de Montbazon l’avait déjà fort irritée ; la conviction qu’elle acquit des nombreuses tentatives d’assassinat qui avaient échoué par hasard et pouvaient se renouveler la décida, et c’est dans les derniers jours du mois d’août qu’il faut placer la date certaine de l’ascendant déclaré, public et sans rival, de Mazarin sur Anne d’Autriche. Il ne lui avait jamais déplu ; il commença à lui agréer dans le mois qui précéda la mort de Louis XIII ; elle le nomma premier ministre au milieu de mai, un peu par goût et beaucoup par politique, Peu à peu le goût s’accrut et devint assez fort pour résister à toutes les attaques. Ces attaques, en passant aux dernières extrémités et en lui faisant craindre pour la vie même de Mazarin, précipitèrent la victoire de l’heureux cardinal, et le lendemain du guet-apens nocturne où il devait périr, Mazarin était le maître absolu du cœur de la reine, et plus puissant que ne l’avait été Richelieu après la journée des dupes.

Mme de Motteville était de service auprès de la reine Anne, lorsqu’au bruit de l’assassinat qui n’avait pas réussi, les courtisans s’empressèrent de venir au Louvre protester de leur dévouement. La reine, tout émue, lui dit : « Vous verrez devant deux fois vingt-quatre heures comme je me vengerai des tours que ces méchans amis me font. »  » Jamais, dit Mme de Motteville, le souvenir de ce peu de mots ne s’effacera de mon esprit. Je vis en ce moment, par le feu qui brilloit dans les yeux de la reine, et par les choses qui en effet arrivèrent le lendemain et le soir même, ce que c’est qu’une personne souveraine, quand elle est en colère et qu’elle peut tout ce qu’elle veut. » Si la fidèle dame d’honneur eût été moins discrète, elle eût pu ajouter : surtout quand cette personne souveraine est une femme et qu’elle aime.