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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/178

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bergers à l’école, et pendant leur absence il gardait lui-même le troupeau sur la lisière du petit bois qui confine à la prairie. Ce métier de pâtre ne lui allait guère. Tirart n’était pas homme à s’asseoir toute une journée dans les herbes pour jouer de la clarinette ou sculpter des noyaux pendant que les chiens font leur ronde. En attendant le retour des bergers, il s’ébattait avec ses dogues sur le pré ; il les faisait courir et combattre ; il luttait et cabriolait avec eux.

— De quel cabaret sors-tu, grand ivrogne ? dit le maire ; que me veux-tu avec ta bouteille ?

— Ce matin, répondit Espérit, je vous ai cassé quatre ou cinq fioles : voici qui réglera nos comptes. Maintenant parlons peu et parlons bien. Savez-vous qu’ils ont joué il y a six mois une belle Mort de César à Montalric pour leur vote ?

— Il s’agit bien de Montalric ! dit le maire. Voilà mon troupeau qui s’emporte devers les vignes ; tourne sur eux à grands coups de pierre et rabats-les jusqu’ici.

— Les chiens les ramèneront, dit Espérit.

— Je leur apprends des tours, dit le maire ; ce n’est pas le moment de les déranger. File par le fossé et fais-moi tout redescendre, hardi !

Le troupeau ramené, Espérit trouva le maire émondant les feuilles grêles de deux grandes tiges d’osier.

— Prends ces amarines, dit le maire, et tordons-les à nous deux ; il nous faut façonner un grand cerceau pour faire sauter les chiens. Nous allons rire.

On façonna le cerceau, on fit sauter les chiens ; le maire était en belle humeur. — Voici le bon moment, se dit Espérit… Et cette Mort de César, reprit-il d’un air de finesse, si nous la montions à Lamanosc ? qu’en pensez-vous, notre maire ?

— Déjà quatre heures ! s’écria Marius en tirant sa grosse montre ; on m’attend à la commune. Adieu ! adieu ! je te laisse le troupeau ; tu passais pour bon pâtre dans le temps ; tiens, prends ma gaule, amuse-toi bien, et bonne garde ! Si tu aimes la musique, tu trouveras des fifres dans la besace !… Surtout, attention aux jeunes mûriers !

Et le maire Tirart monta vers la mairie.


III.

Le lendemain, trois grandes charrettes étaient en charge devant la maison du maire Tirart, rue des Pique-Nierres. Les chevaux se cabraient en agitant leurs clochettes, les chiens jappaient ; les rouliers, gens d’Avignon et du Pontet, criaient et juraient comme des païens ; les oisifs de la commune s’attroupaient autour des voitures et donnaient gravement leur avis. Assis sur une trousse de feuilles,