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sont vénérés des pêcheurs, qui témoignent en général un grand respect pour la vieillesse. Quand la mort vient, ils la reçoivent avec un visage calme et résigné, comme une ancienne connaissance qu’ils ont vue passer plus d’une fois sur leur tête dans les horreurs de la tourmente. Froids et inanimés, ils reposent non loin des vagues qu’ils ont soumises, au bord de cette mer troublée comme le temps, stable et impassible comme l’éternité.

Les femmes ont également des affections peu expansives. Toutefois, malgré cette placidité apparente, il arrive souvent qu’elles soient dans un état de grossesse, ou même qu’elles aient un enfant avant le jour du mariage ; mais il n’y a presque point d’exemple que la fille enceinte ait été abandonnée de son fiancé. Assurée ainsi de la constance de son amant, la fille-mère ne s’afflige point de sa fécondité ; elle se présente devant l’officier civil sans rougir ; son regard semble au contraire dire : « Vous voyez que je ne m’étais pas trompée ! » Les garçons et les filles se marient très jeunes. L’infidélité conjugale est rare, surtout de la part des hommes. Les femmes sont extrêmement diligentes ; elles font en sorte de suppléer par leur industrie et leur activité au faible salaire de leurs maris. On les rencontre dans les rues de La Haye portant sur leur tête le poisson que les hommes ont pu obtenir des armateurs à titre de petit bénéfice. Le mouvement qu’elles se donnent pour vendre est extraordinaire : quand elles ne peuvent tirer l’argent de leur marchandise, elles pratiquent le système d’échange. On les voit alors revenir vers le soir, sur la route de Scheveningen, avec du pain, du bois, des légumes qu’elles rapportent fièrement sur leur tête dans les mêmes corbeilles où elles ont apporté des soles, des crevettes. Dans leur maison règne ou une extrême propreté ou une saleté repoussante ; quand elle se rencontre, cette saleté doit être mise sur le compte de la misère : sept et jusqu’à huit personnes couchent quelquefois dans une seule chambre, ou, pour mieux dire, dans un réduit obscur, où l’on ne logerait point des animaux domestiques. Deux fois le choléra-morbus visita ces pauvres masures et y fit d’affreux ravages.

Dans ces ménages de pêcheurs, les querelles sont à peu près inconnues. Il est vrai de dire que la femme est le chef de la maison : elle doit cette domination domestique à la supériorité de ses connaissances et de ses lumières acquises. Plus civilisée, plus intelligente, peut-être moins morale, elle se montre en tout la maîtresse de son mari, qui obéit à ses conseils, on pourrait presque dire à ses ordres. Ces lions de la mer, qui affrontent avec une espèce d’insouciance les plus grands dangers sur leurs frêles bâtimens, se laissent conduire comme des agneaux par la main de leurs compagnes. Quoique les sentimens parlent généralement peu entre les couples, on surprend quelquefois